Le transport de particules désertiques « géantes » : un mystère qui semble défier la gravité

panache de poussière saharien
Crédits : Wikimedia Commons.

La fine couche d’air qui entoure notre planète est riche en particules en tout genre. Une partie d’entre elles provient des zones désertiques, soufflée par les vents. Cependant, un mystère continue de tenir en haleine les scientifiques : la présence désormais bien documentée de particules géantes déportées loin de leur région source. Actuellement, on sait encore peu de choses sur les mécanismes responsables de ce transport qui semble défier la loi de la gravité. 

Le désert saharien est connu pour être une importante source de particules minérales pour l’atmosphère. En moyenne, elles sont transportées vers l’ouest par les vents dominants, et se déplacent au-dessus de l’océan Atlantique tropical et subtropical avant d’atteindre l’Amérique latine. Mais parfois il arrive que, sous l’influence d’un vent de sud prenant sa source bas en latitude, elles soient advectées vers l’Europe. Leur présence donne alors un aspect laiteux – voire orangé – au ciel. Si des précipitations se produisent, elles sont subitement évacuées en formant un dépôt de sable – particulièrement bien visible sur les carrosseries des voitures ou les fenêtres exposées.

Il existe toutefois un mystère qui intrigue les chercheurs depuis une trentaine d’années à propos de ce transport. Il concerne la taille des particules de poussière. De nombreuses observations témoignent en effet de la présence de spécimens géants (> 75 micromètres de diamètre) ayant été déplacés très loin de leur région source*. Des valeurs supérieures à 300 micromètres ont pu être mesurées. Or, on ne connaît pour l’heure aucun mécanisme de soutien assez efficace qui permettrait à des particules aussi larges d’être transportées aussi loin – i. e. à plusieurs milliers de kilomètres.

Des hypothèses qui laissent encore planer le mystère

Un papier paru le 12 décembre dans la revue Science Advances s’est intéressé à la question. Dans le cadre de l’étude, des prélèvements ont été réalisés dans le nord de l’Atlantique tropical entre 2013 et 2016. Les instruments ont été installés sur des bouées. Ils ont échantillonné l’air à environ 3 mètres au-dessus du niveau de la mer. Des particules géantes avec un diamètre allant jusqu’à 450 micromètres ont été rapportées (voir les photographies ci-dessous). Elles se composent de quartz et présentent un aspect presque sphérique. « Cette observation ajoute une preuve supplémentaire de la capacité qu’a l’atmosphère à transporter des particules géantes sur de très longues distances », indique le document.

particules de quartz
Particules de poussière minérales géantes avec leur diamètre approximatif en micromètres. Crédits : M van der Does & al. 2018.

Dans un second temps, une évaluation des différentes hypothèses émises à ce jour a été effectuée. Certaines d’entre elles mettent en avant le rôle de la turbulence dans la moyenne et haute atmosphère ou celui des ascendances orageuses. D’autres se focalisent plutôt sur l’impact de l’électrisation des particules par frottements. L’effet lié à la forme des poussières est également avancé – les plus asymétriques tombant moins vite. Toutefois, il ne semble pas être pertinent étant donné que les mesures révèlent une forme quasi-sphérique. Au final, il s’avère probablement que plusieurs de ces mécanismes agissent de concert.

Par exemple, en été, il existe une couche d’air très turbulente en altitude associée au jet africain d’est. Elle présente en outre une forte concentration en poussière, permettant une électrisation par frottements très efficace. Les effets de la turbulence, du vent fort et des charges électriques se conjugueraient ainsi de sorte à transporter les particules tout en compensant l’entraînement vers la surface dû à la gravité.

Un enjeu majeur pour la modélisation du climat

Quoi qu’il en soi, de futures recherches sont nécessaires, car nos connaissances restent encore lapidaires et la quantification des différents processus impliqués quasiment inexplorée. Il est même possible que certains n’aient pas  encore été découverts.

Par ailleurs, le sujet présente un enjeu majeur dans le domaine de la modélisation climatique, car les modèles ne considèrent pas les poussières supérieures à 10 micromètres. Cela peut conduire à des résultats biaisés étant donné l’effet majeur qu’elles ont sur le bilan énergétique de la planète – via la réflexion/absorption du rayonnement ou la modification des propriétés nuageuses. Notons également leur impact sur la dynamique des orages et des cyclones tropicaux.

Pour l’instant, il n’est pas possible d’inclure de plus grosses particules dans les simulations, car les équations sur lesquelles se basent les modèles – la loi de Stokes notamment – surestiment leur vitesse de chute. Pour fournir de bonnes valeurs, il faudrait connaître l’ensemble des mécanismes en jeu et le poids de chacun. Une détermination empirique serait alors possible. On a cependant vu que ce n’était pas encore le cas. Un défi majeur qui reste donc à relever au cours des prochaines décennies.

* Cette réalité n’est pas exclusive au désert du Sahara, même si l’article se focalise sur celui-ci. On observe la même chose au niveau des étendues désertiques d’Asie du sud, où de grosses particules sont déportées loin dans le Pacifique.

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