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Crédits : Rfldesign1982/istock

« Le rouge est chaud » et le « bleu est froid »… même pour les personnes nées aveugles : comment l’expliquer ?

Tout le monde sait que le rouge est chaud et le bleu est froid. Ce genre d’association paraît évident, presque instinctif. Mais comment expliquer que des personnes aveugles de naissance — qui n’ont jamais vu la couleur rouge ou bleue — puissent faire ces mêmes liens ? Une étude récente publiée dans Communications Psychology propose une réponse fascinante : le langage seul pourrait suffire à transmettre ces associations.

Des couleurs sans vision

Il est bien établi que certaines couleurs évoquent spontanément des émotions, des sensations ou des idées. Le vert rappelle la nature et la fraîcheur. Le violet (qui en réalité n’existe pas) fait penser à la royauté et au mystère. Le jaune peut évoquer la gaieté ou l’énergie. On pourrait croire que ces associations sont fondées uniquement sur des expériences visuelles : un feu rougeoyant est chaud, une glace bleutée est froide, une forêt verdoyante est paisible.

Et pourtant, des personnes aveugles de naissance — qui n’ont jamais eu accès à ces expériences visuelles — construisent des associations très similaires. Comment cela est-il possible ? La réponse se trouve du côté du langage, et plus précisément dans sa structure statistique.

Plongée dans le langage avec l’aide de l’IA

Des psychologues de l’Université du Wisconsin-Madison ont cherché à comprendre comment le langage pourrait véhiculer ces associations sensorielle. Pour cela, ils ont utilisé des outils d’intelligence artificielle, dont ChatGPT, afin d’analyser de vastes ensembles de textes (livres, articles, discours, etc.). Leur objectif : étudier les modèles d’intégration de mots, qui permettent de représenter les mots dans un espace virtuel selon les contextes dans lesquels ils apparaissent.

Par exemple, si les mots « rouge » et « chaud » apparaissent fréquemment dans des contextes similaires, ils seront placés proches l’un de l’autre dans cet espace. Ce principe, appelé plongement lexical, révèle les cooccurrences de second ordre : des liens indirects entre les mots, appris par répétition dans des contextes comparables.

Les chercheurs ont ensuite comparé ces résultats à des réponses fournies par des personnes voyantes et aveugles de naissance, invitées à faire des associations entre des couleurs et des concepts abstraits : vivant/mort, doux/dur, frais/rassis, soumis/agressif, etc.

Des résultats étonnamment convergents

Les résultats sont saisissants : les associations faites par les personnes voyantes et aveugles sont très similaires. Même sur des correspondances peu courantes (comme associer le jaune à la rapidité ou le violet à la tristesse), les réponses convergent. Cela montre que les aveugles de naissance peuvent acquérir une connaissance riche et cohérente des couleurs, non pas par expérience sensorielle, mais par immersion dans le langage.

Ce phénomène ne peut pas s’expliquer uniquement par le fait qu’on leur ait appris des formules figées du type « le rouge est chaud ». Ce sont plutôt des associations implicites, intégrées naturellement au fil du temps à travers les usages quotidiens du langage.

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Ce graphique issu de l’étude donne une idée approximative de la nature des associations de couleurs. Crédit image : Liu et al., Communications Psychology 2025 ( CC BY-NC-ND 4.0 )

Le langage comme vecteur du monde perceptif

Ce que révèle cette étude, c’est que le langage humain contient une mémoire collective perceptuelle. Il encode, à travers les mots et leurs contextes, des milliers de petites associations ancrées dans nos expériences sensorielles. Lorsque l’on parle d’un regard « glacial » ou d’une voix « chaude », on mobilise des métaphores visuelles ou tactiles qui deviennent intelligibles même sans perception directe.

Autrement dit, le langage est capable de transmettre des dimensions sensorielles du monde à ceux qui n’y ont pas accès, simplement en les exposant à son usage. Cette découverte ouvre des pistes fascinantes sur la manière dont l’intelligence artificielle peut, elle aussi, acquérir une forme de « compréhension » du monde en analysant uniquement du texte.

Une nouvelle preuve du pouvoir du langage

En conclusion, cette recherche met en lumière l’un des pouvoirs les plus étonnants du langage : rendre accessible le perceptible sans perception. Grâce à la structure des mots et à la richesse des contextes dans lesquels ils apparaissent, le langage peut servir de pont entre l’expérience sensorielle et la pensée abstraite — même pour ceux qui n’ont jamais vu les couleurs.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.