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Crédits : solarseven/istock

Le moteur spatial du futur ? Comment de l’uranium liquide en rotation pourrait diviser par deux le temps vers Mars

Alors que les fusées chimiques atteignent leurs limites, une nouvelle génération de moteurs nucléaires pourrait bien changer les règles du jeu pour les voyages interplanétaires. Voici comment des chercheurs comptent doubler les performances actuelles… avec de l’uranium en rotation.

La promesse de la propulsion nucléaire thermique

Depuis les débuts de l’exploration spatiale, les fusées chimiques dominent le paysage. Mais après des décennies d’amélioration, elles ont atteint un plafond technologique : leur efficacité maximale — appelée impulsion spécifique — ne dépasse plus les 450 secondes. Et même les meilleurs ingénieurs d’entreprises comme SpaceX se concentrent aujourd’hui davantage sur la réduction des coûts que sur la poussée pure.

Face à ce mur technologique, la NASA et d’autres agences misent sur une alternative vieille de plusieurs décennies, mais encore jamais exploitée dans l’espace : la propulsion nucléaire thermique, ou NTP (Nuclear Thermal Propulsion). Le programme DRACO, mené par la NASA et la DARPA, prévoit de tester un moteur nucléaire d’ici 2027, capable d’atteindre 900 secondes d’impulsion spécifique. C’est déjà le double d’un moteur chimique classique. Mais ce n’est peut-être qu’un début.

Une équipe de chercheurs de l’Université d’Alabama à Huntsville et de l’Université d’État de l’Ohio développe un concept encore plus radical : une fusée nucléaire thermique centrifuge, ou CNTR (Centrifugal Nuclear Thermal Rocket). Et selon leurs simulations, elle pourrait propulser des vaisseaux avec une efficacité presque quatre fois supérieure à celle des moteurs chimiques. Un gain immense pour les missions martiennes… s’ils parviennent à surmonter les nombreux défis techniques.

De l’uranium liquide en rotation

La différence fondamentale entre un moteur NTP classique et un CNTR ? Le combustible. Les systèmes NTP traditionnels utilisent de l’uranium solide. Le CNTR, lui, mise sur de l’uranium liquide. Ce choix permet de travailler à des températures bien plus élevées, ce qui augmente drastiquement l’efficacité de la poussée.

Mais comment faire pour que ce combustible reste liquide ? Grâce à une centrifugeuse intégrée. En rotation rapide, l’uranium fondu est confiné par la force centrifuge, formant une paroi torique (en anneau) stable. De l’hydrogène gazeuxest ensuite injecté au centre du système : il passe au travers de l’uranium chaud, s’échauffe à des températures extrêmes, puis est expulsé par une tuyère pour créer la poussée. Résultat : une impulsion spécifique de 1 500 secondes, soit presque le double des NTP classiques, et la moitié de celle des moteurs ioniques, mais avec une poussée bien plus élevée.

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Modèle CAO d’un système NTP, mais pas un CNTR. Crédit : NASA Glenn Research Center

Des promesses… mais des défis majeurs

Bien sûr, une telle innovation ne va pas sans son lot de difficultés. L’équipe de recherche a identifié dix défis techniques majeurs, dont elle s’est concentrée sur quatre dans une récente publication scientifique.

Le premier concerne la neutronique du système : les sous-produits de la fission nucléaire, comme le xénon et le samarium, peuvent « empoisonner » le réacteur et en perturber le bon fonctionnement. Pour y remédier, les chercheurs ajoutent des éléments comme l’erbium-167 pour stabiliser la température et explorent des stratégies d’évacuation sélective des produits indésirables.

Deuxième problème : les bulles d’hydrogène. Ces bulles sont essentielles au transfert de chaleur, mais leur comportement dans l’uranium liquide est encore mal compris. Pour les étudier, les chercheurs ont conçu deux dispositifs expérimentaux : Ant Farm (statique) et BLENDER II (rotatif, avec observation aux rayons X). Ils utilisent du galinstan, un métal liquide non radioactif, comme substitut de l’uranium, et de l’azote pour simuler l’hydrogène.

Troisième défi : l’intégration globale du moteur. À l’aide d’un algorithme génétique, les scientifiques ont optimisé différents paramètres pour maximiser la poussée. Résultat : une impulsion spécifique théorique de 1 512 secondes, mais au prix de vitesses de rotation très élevées et d’une architecture complexe.

Enfin, le plus gros problème reste la perte d’uranium. Si trop de combustible est éjecté dans la tuyère, cela pourrait réduire drastiquement l’efficacité du moteur. Pour éviter cela, les chercheurs testent une technique appelée diélectrophorèse (DEP), qui utilise un champ électrique pour capturer les particules d’uranium vaporisé et les renvoyer vers la centrifugeuse. Mais même avec un taux de récupération de 99 %, la viabilité du moteur reste fragile.

Encore loin du décollage… mais sur la bonne trajectoire

Pour l’instant, le CNTR reste un concept en développement. Aucun prototype complet n’a encore été construit. Les prochaines étapes porteront sur des essais en laboratoire de la technologie DEP, et sur l’amélioration des modèles physiques du moteur.

Mais une chose est claire : si ces obstacles peuvent être surmontés, le CNTR pourrait représenter une véritable révolution pour les voyages interplanétaires. Plus rapide, plus efficace, capable de transporter de lourdes charges sur de longues distances… le moteur nucléaire centrifuge pourrait bien être la clé pour atteindre Mars — et au-delà.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.