D’où vient le dioxygène que nous respirons ? Des forêts ? Du plancton ? L’actualité marquée par les incendies dramatiques en Amazonie et en Afrique a redonné un élan à certains mythes qu’il conviendrait de défaire. En effet, ils sont la source d’ambiguïtés et de non-sens qui ne peuvent éclairer le débat citoyen.
La récente attention portée aux feux de forêts en Amazonie et en Afrique subsaharienne a suscité de très nombreuses réactions. Une indignation générale s’est rapidement fait entendre. Et ce aussi bien dans le grand public que chez les célébrités ou les politiques. Une prise de conscience mondiale mise en route par les réseaux sociaux suite au hashtag #PrayforAmazonia.
Bien que la déforestation soit dramatique et induise de nombreuses perturbations environnementales, il convient de garder un discours factuel. Aussi, nous revenons dans cet article sur deux assertions souvent énoncées au sujet des forêts, mais qui se révèlent fausses ou très ambiguës.
Les forêts produisent-elles du dioxygène ?
Qui n’a jamais entendu dire que les forêts produisent une part notable du dioxygène que l’on respire ? Elles nous fourniraient environ 20 % de ce dernier. Cependant, il s’agit là d’une simplification à outrance plus proche du mythe que de la science. En effet, si les forêts – ou le plancton – jouent bien un rôle, il est très indirect comme nous le verrons plus bas.
Considérons un système forestier à l’équilibre – une parcelle de forêt amazonienne par exemple. Le nombre d’arbres qui poussent est égal à celui des arbres qui meurent.
En moyenne, un arbre absorbe du dioxyde de carbone (CO2) et rejette du dioxygène (O2). La réaction – ici simplifiée – est celle de la photosynthèse. Elle lui permet de fabriquer sa biomasse – son tronc, ses feuilles, etc. Puisque du carbone est progressivement stocké dans l’arbre et le sol, il y a un dépôt d’O2 dans l’atmosphère.
Toutefois, à sa mort, la décomposition de l’arbre va consommer une quantité similaire d’O2. La respiration et la dégradation de la matière organique par les champignons, bactéries et autres rejettent du CO2 et l’on revient au point de départ. Il n’y a donc une émission d’O2 et un stockage de carbone qu’à titre provisoire. Le dioxygène ne peut pas augmenter dans l’atmosphère de cette façon.
Ainsi, entre le moment où il pousse et le moment où il disparaît par décomposition, un arbre ne produit pas d’O2. Il en va de même pour un système forestier à l’équilibre, car le nombre d’arbres en phase de croissance est identique à ceux qui périssent. Pour résumer, une forêt à l’équilibre produit autant de dioxygène qu’elle en consomme. Cela tourne en circuit fermé.
Quelle contrepartie en O2 à la biomasse terrestre ?
Mais, pourrait-on rétorquer, puisqu’il y a des milliards d’arbres sur pied actuellement, cela doit bien correspondre à une contrepartie en O2 atmosphérique. La contrepartie du carbone fixé dans la biomasse au moment où ces forêts étaient en phase de croissance !
Pour rappel, la réaction ultra-simplifiée de la photosynthèse est CO2 → C + O2. Le rejet d’O2 lors de la réaction étant dans un rapport 32/12. C’est-à-dire que lorsque de la matière organique contenant 12 grammes de carbone est produite, 32 grammes de dioxygène sont libérés.
Faisons le calcul. La biomasse terrestre totale – forêts, plancton, bactéries… – équivaut entre 3000 et 6000 milliards de tonnes de carbone réduit. L’atmosphère devrait de ce fait contenir de l’ordre de 10 000 milliards de tonnes de dioxygène.
Or, il s’avère que celle-ci en contient… 100 fois plus ! De l’ordre de 1 000 000 de milliards de tonnes. Notez que dans le calcul précédent, la biomasse forestière et celle du plancton ont été prises en compte. Ce dernier ne saurait donc expliquer plus que les forêts l’origine essentielle du dioxygène que nous respirons. D’où vient-il alors ?
Fossilisation de la matière organique : s’extraire du circuit fermé
Le processus de photosynthèse/respiration tourne en circuit fermé, avec un dépôt temporaire et négligeable (<1 %) d’O2 dans l’atmosphère – contrepartie du carbone fixé dans la biomasse. Pour réellement alimenter le stock atmosphérique, il faut donc arriver à s’extraire de la boucle. Plus précisément, il faut échapper à la décomposition. Ainsi, le dioxygène rejeté ne sera pas réutilisé pour oxyder la matière organique.
Le seul moyen d’échapper à la dégradation de cette dernière est la fossilisation. Chaque fois que 12 grammes de matière organique sont fossilisés, les 32 grammes d’O2 produits ne sont pas ré-oxydés. Ils s’accumulent donc dans l’air. Un processus qui se produit constamment au niveau des bassins sédimentaires par exemple.
En résumé, le dioxygène que l’on respire provient de la photosynthèse ancienne quand celle-ci a été suivie d’une fossilisation de la matière organique. « Nous respirons donc un O2 libéré par des végétaux anciens (par exemple carbonifères) devenus matière organique fossile », lit-on sur le site de planet-terre.
Dit autrement, il est la contrepartie du carbone actuellement enfoui dans les roches sédimentaires – pétrole, charbon, dépôts diffus, etc. – autrefois forêts ou plancton. Et non celle de l’Amazonie, des forêts ou du plancton vivants.
Une concentration stable depuis 20 millions d’années
Au Carbonifère, le taux de fossilisation était très élevé, d’où le niveau record d’O2 dans l’air – environ 35 %.
Selon le rapport entre le piégeage de la matière organique et l’oxydation des roches ou l’activité des dorsales sous-marines, le taux de dioxygène varie à l’échelle géologique – entre 15 et 35 %. Depuis 20 millions d’années, les deux sont globalement équilibrés. En conséquence, la teneur en O2 reste plutôt stable, autour de 21 %. Grand bien nous fasse !
L’Amazonie est-elle un poumon ?
L’Amazonie – plus généralement les forêts – serait le poumon de notre planète. Cette image s’associe à celle des forêts productrices de dioxygène (O2). Or, on l’a vu, il n’en est rien. Mais l’analogie a un autre travers : un poumon fait tout l’inverse ! Il consomme du dioxygène et relâche du dioxyde de carbone. Autant dire que cette expression est à éviter car elle n’éclaire pas le débat et peut porter à confusion. Il en va de même pour l’océan et son phytoplancton, souvent qualifié de second poumon de notre planète.
En conclusion, s’il y a de nombreuses raisons de s’inquiéter de la déforestation en cours, le dioxygène n’en fait pas partie. À ce niveau au moins, il n’y a pas lieu de s’alarmer.
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