Pour la première fois, un modèle climatique a pu simuler avec rigueur les grands traits du climat du début de l’Éocène. Jusqu’à présent, cette période très chaude s’étendant de -56 à -48 millions d’années était très mal reproduite par les modèles numériques. Aussi, il s’agit d’un progrès considérable – lequel repose en grande partie sur une meilleure représentation de la microphysique nuageuse.
Il y a environ 56 millions d’années, la Terre subissait son épisode de réchauffement global le plus extrême jamais observé en paléoclimatologie. On parle de maximum thermique du Paléocène-Éocène (PETM en anglais) car il marque la transition entre les deux époques géologiques. Sans surprise, les impacts sur la biodiversité ont été importants avec de nombreuses extinctions et migrations d’espèces.
Un emballement du climat vers le chaud
Partant d’un contexte déjà chaud à la fin du Paléocène, la température de la Terre a augmenté de 5 à 9 degrés en une dizaine de milliers d’années seulement. Elle aurait atteint jusqu’à 32 °C en moyenne globale au pic du PETM. Cette élévation thermique brutale a été pilotée par celle – tout aussi brutale – de la concentration atmosphérique en dioxyde de carbone (CO2). En effet, sa quantité a quasiment été multipliée par 2 durant le PETM, atteignant près de 2000 ppm. Probablement suite à une déstabilisation de clathrates de méthane.
Ce pic prend place dans une tendance plus lente au réchauffement, laquelle mènera quelques millions d’années plus tard à l’optimum de l’Éocène (voire figure ci-dessous). Toutefois, on ne retrouvera pas des valeurs aussi extrêmes que durant le PETM.

Les scientifiques estiment que la température moyenne sur Terre durant l’optimum de l’Éocène était de 29 °C. Autrement dit, 15 degrés de plus comparé à aujourd’hui. Le taux de CO2 s’élevait à ~1600 ppm – contre 410 ppm actuellement. Par ailleurs, le gradient thermique entre les pôles et les tropiques était réduit de ~30 % par rapport à sa valeur contemporaine.
Il va sans dire que le visage de la planète était très différent. Des forêts tropicales occupaient les moyennes latitudes et la température des eaux aux tropiques pouvait dépasser 40 °C. Des palmiers couvraient l’Antarctique et les crocodiles baignaient dans l’océan Arctique. Notons également l’absence totale de glace, même sur les plus hauts sommets.
Simuler le climat du début de l’Éocène : un défi
Jusqu’à présent, les modèles de climat n’arrivaient pas à rendre compte des températures très chaudes de l’Éocène inférieur. Ou alors, seulement après avoir introduit des forçages peu réalistes.
Cependant, une étude parue le 18 septembre dernier dans Science Advances fait état d’une amélioration considérable dans la capacité à simuler cette période. En effet, le modèle de dernière génération utilisé produit une image de la Terre en accord avec les proxys paléoclimatiques. Et ce sans avoir eu besoin d’introduire de forçages exotiques ou de reformuler la physique du code de calcul.

Ce progrès est attribué à la meilleure prise en compte des processus de très fine échelle. Plus précisément, lorsque le climat se réchauffe, la microphysique nuageuse évolue fortement et mène à une réduction du couvert nuageux global. En conséquence, plus d’énergie solaire entre dans le système climatique. Il s’agit d’une rétroaction positive qui amplifie le réchauffement et – point important – qui dépend de la température planétaire. Le processus est donc très non-linéaire.
Des implications fortes pour le climat du futur
« Cette constatation est effrayante. Car elle indique que la réponse de la température à une augmentation de CO2 dans le futur pourrait être plus importante que la réponse à la même augmentation de CO2 maintenant. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour nous », explique Jiang Zhu, auteur principal du papier.

Ainsi, ces résultats invitent à s’interroger sur le changement climatique en cours. Si l’ampleur du réchauffement dépend sensiblement des phénomènes de très fines échelles, il se pourrait que la hausse de température à venir soit sous-estimée. En effet, les modèles utilisés jusqu’à présent ne disposaient pas d’une résolution suffisante pour cerner ce type de rétroaction potentielle. C’est pour cette raison que les nuages restent encore la principale cause d’incertitudes dans les projections futures.
« Cela suggère une sensibilité climatique plus élevée dans un avenir plus chaud que celle généralement estimée par le GIEC », peut-on lire à la fin de l’étude. Des résultats qui trouvent un certain écho dans les derniers chiffres avancés par les climatologues.
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