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L'amas d'étoiles globulaire Messier 4. En son centre se trouve le trou noir de taille intermédiaire. Crédits : ESA/Hubble et NASA

Le carbone présent dans notre corps a probablement quitté la galaxie avant de revenir

Et si le carbone dans notre corps avait voyagé bien au-delà des limites de notre galaxie avant de revenir pour contribuer à la formation de la Terre et, finalement, de nous-mêmes ? Une récente étude menée par une équipe de scientifiques américains et canadiens révèle en effet que les atomes de carbone, essentiels à la vie, ne se contentent pas de flotter passivement dans l’espace. Au contraire, ils suivent un cycle étonnamment actif, transportés par des courants cosmiques qui les éloignent de leur galaxie d’origine avant de les ramener pour participer à de nouvelles créations célestes. Ce mécanisme fascinant, surnommé le « tapis roulant cosmique », joue un rôle crucial dans le recyclage des éléments forgés par les étoiles.

Le carbone, un héritage des étoiles

Le carbone est au cœur de toute vie sur Terre. Mais son existence ne serait pas possible sans les étoiles, les véritables forges de l’univers. Contrairement à l’hydrogène et l’hélium, qui sont présents depuis les premiers instants du cosmos, les éléments lourds comme le carbone, l’oxygène et le fer sont créés au sein des étoiles par des réactions de fusion nucléaire.

Lorsque ces étoiles arrivent en fin de vie, elles libèrent ces éléments dans l’espace par des explosions massives appelées supernovae. Ces événements spectaculaires dispersent alors des atomes dans le cosmos, créant les « briques fondamentales » nécessaires à la formation de nouvelles étoiles, planètes et même formes de vie.

Sur Terre, le carbone est présent partout : dans notre corps, dans les plantes, dans l’atmosphère. Mais son histoire remonte bien plus loin que notre planète. Grâce à cette nouvelle étude, nous savons désormais qu’avant de rejoindre la Terre, une grande partie de ce carbone a voyagé bien au-delà des limites de la Voie lactée.

Le milieu circumgalactique : un réservoir géant de matière

C’est ici qu’intervient le milieu circumgalactique, ou MCG. Ce vaste halo de gaz et de matière entoure les galaxies et agit comme un réservoir cosmique. Imaginez-le comme une gare de triage où les éléments sont expulsés de la galaxie, puis ramenés au fil du temps.

Samantha Garza, chercheuse à l’Université de Washington et co-autrice de l’étude, explique :
« Les éléments lourds produits par les étoiles sont poussés hors de leur galaxie hôte lors de leur mort explosive en supernovae. Ces matériaux atteignent le milieu circumgalactique, où ils peuvent éventuellement être ramenés à l’intérieur pour continuer le cycle de formation des étoiles et des planètes. »

Ce processus fonctionne comme un tapis roulant géant : il transporte la matière enrichie en éléments lourds vers l’extérieur, mais la ramène également vers l’intérieur de la galaxie. Ce cycle perpétuel permet de maintenir les galaxies actives et productives, formant continuellement de nouvelles étoiles et structures.

Les découvertes récentes grâce à Hubble

Pour étudier ce phénomène, les scientifiques ont utilisé le télescope spatial Hubble et son spectrographe Cosmic Origins. Cet instrument permet de détecter les éléments présents dans le milieu circumgalactique en analysant la lumière provenant de quasars lointains, des sources lumineuses ultra-brillantes situées aux confins de l’univers.

Les résultats sont impressionnants. Les chercheurs ont découvert que le carbone peut s’étendre sur près de 400 000 années-lumière, soit environ quatre fois le diamètre de la Voie lactée. Ce carbone, présent en grande quantité dans le milieu circumgalactique, est constamment en mouvement.

« Nous pouvons désormais confirmer que le milieu circumgalactique agit comme un réservoir géant de carbone et d’oxygène », explique Garza. Cela signifie que ce halo de matière joue un rôle essentiel dans le recyclage des éléments nécessaires à la formation de nouvelles étoiles et planètes.

Cette découverte est importante car elle montre que le carbone que nous trouvons sur Terre – et dans notre propre corps – a probablement passé une grande partie de son existence en dehors de notre galaxie, avant de revenir pour former la Terre.

carbone galaxie
Une image d’une partie dense et riche en étoiles de notre galaxie, la Voie lactée, prise par le télescope spatial Hubble. Crédits : NASA/ESA/Hubble Heritage Team

Le recyclage cosmique et ses implications

Ce cycle de recyclage du carbone et des autres éléments lourds est fondamental pour l’évolution des galaxies. Il fournit le « carburant » nécessaire à la formation de nouvelles étoiles et planètes. Sans ce processus, les galaxies comme la Voie lactée deviendraient éventuellement des « déserts stellaires », incapables de produire de nouvelles étoiles.

Cependant, ce cycle n’est pas éternel. À mesure que le milieu circumgalactique s’épuise ou devient moins actif, le processus de formation d’étoiles ralentit. Les chercheurs pensent que cela pourrait expliquer pourquoi certaines galaxies arrêtent de produire des étoiles au fil du temps.

« Si vous parvenez à maintenir le cycle en poussant la matière vers l’extérieur et en la ramenant à l’intérieur, alors théoriquement vous aurez suffisamment de carburant pour maintenir la formation d’étoiles », explique Garza. Mais si ce processus s’arrête, les galaxies peuvent dépérir et devenir inactives.

En somme, cette nouvelle étude éclaire d’une manière fascinante nos origines cosmiques. Chaque atome de carbone dans notre corps a peut-être voyagé pendant des millions d’années, traversant des distances inimaginables dans l’espace intergalactique avant de revenir dans la galaxie pour participer à la formation de la Terre.

En comprenant le rôle du milieu circumgalactique et du recyclage cosmique, les scientifiques nous rapprochent de la réponse à des questions fondamentales : pourquoi certaines galaxies cessent-elles de former des étoiles ? Quels sont les mécanismes qui maintiennent les galaxies actives ?

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.