Contrairement à ce que l’on pouvait craindre, l’anomalie froide actuellement observée au sud-est du Groenland ne serait pas le signe avant-coureur d’un effondrement de la circulation océanique nord-atlantique. C’est du moins ce qu’avance une étude récemment parue dans la célèbre revue Geophysical Research Letters.
Une des conséquences attendue du réchauffement global est le ralentissement de la circulation océanique de l’Atlantique Nord (AMOC). Celui-ci est simulé avec plus ou moins d’intensité par l’ensemble des modèles de climat et semble déjà à l’œuvre dans le monde réel. En effet, la diminution associée du transport de chaleur vers le pôle doit s’accompagner d’une anomalie froide au sud du Groenland. Or, les mesures révèlent une tendance au refroidissement dans cette même région au cours des cent dernières années.
De nombreuses études ont vu dans cette anomalie froide la marque du fameux ralentissement des courants marins attendu dans le nord de l’Atlantique. Le lieu, les dimensions et la présence de la tache froide sur des séries climatiques remontant au début du vingtième siècle collent de façon remarquable avec ce que simulent les modèles informatiques en réponse à un réchauffement global du climat. De nouveaux travaux, empruntant un chemin ouvert par de précédentes études, viennent toutefois mettre à mal ce paradigme.
Une ressemblance probablement trompeuse
L’étude dirigée par des chercheurs de l’Université de Miami (États-Unis) déjuge avec force les discours qui voient dans l’anomalie froide des cent dernières années la marque univoque d’un ralentissement critique des courants océaniques. En effet, les scientifiques ont montré que, selon la manière dont on la mesure, celle-ci pouvait être reproduite entre 50 % et 90 % par des modélisations numériques dénuées de circulation océanique. Dans ces simulations, l’AMOC ainsi que son évolution ne peuvent évidemment pas être pointées du doigt.
« Le déficit de réchauffement est considéré comme une marque de l’AMOC de nos jours. Son apparence suggère que l’AMOC n’est peut-être pas stable. Nos résultats ne soutiennent pas cette idée », résume Amy Clement, coauteure de l’étude. « Nous suggérons en outre que les processus océaniques induits par les vents peuvent augmenter le refroidissement dans le monde réel, mais que le moteur ultime réside dans l’atmosphère », rapporte l’étude dans son résumé. Précisons que les résultats ne remettent pas en cause le ralentissement des courants attendu à plus long terme.
Anomalie froide de l’Atlantique Nord : l’atmosphère mène la danse
Alors, à quoi l’anomalie froide observée au sud-est du Groenland doit-elle son existence ? La réponse réside dans l’atmosphère. En réaction aux émissions de gaz à effet de serre par les activités humaines, la circulation atmosphérique de la région se renforce tout en se déplaçant vers le nord, et avec elle la puissante dépression d’Islande. Ce déplacement induit un important transfert de chaleur depuis l’océan vers l’atmosphère sur les eaux ainsi conquises, donnant naissance à l’anomalie froide nord-atlantique.
« Cette tendance au refroidissement est partiellement compensée par le réchauffement dû à l’augmentation des gaz à effet de serre », notent les auteurs. En résumé, l’anomalie froide observée est, pour l’instant, essentiellement liée à la réponse de l’atmosphère à nos émissions carbonées et non au ralentissement de la circulation océanique nord-atlantique. Des contributions qui devraient de toute évidence changer à mesure que le réchauffement se poursuivra et que l’AMOC ralentira plus sérieusement en seconde partie de siècle.