L’altération du courant-jet par le réchauffement arctique, une théorie dépassée ?

Crédits : earth.nullschool.net.

Selon certains chercheurs, le réchauffement accéléré de la zone arctique perturbe à plusieurs égards les régimes météorologiques des latitudes tempérées. En particulier, le courant-jet oscillerait plus fortement, multipliant la probabilité de survenue d’évènements extrêmes. Un air polaire plus facilement expulsé vers le sud favoriserait par exemple les épisodes hivernaux. Toutefois, l’évolution observée depuis la popularisation de ces idées ne semble pas réellement soutenir l’hypothèse.

Le flux d’ouest des latitudes tempérées et les perturbations qui le caractérisent dépendent du différentiel thermique entre le pôle et les tropiques. Dans le contexte de l’amplification arctique (voir ci-dessous), une hypothèse avancée est que la réduction de ce gradient conduit à affaiblir le courant-jet, le rendant plus ondulant ou bloqué. Une telle évolution induirait des extrêmes météorologiques plus fréquents.

Illustration de l’amplification arctique. Il s’agit ici du réchauffement en hiver. Aussi, on constate que la région polaire nord est particulièrement sensible. Crédits : GIEC / IPCC.

Un courant-jet plus ondulant et des épisodes froids plus fréquents ?

Lors de la saison hivernale, le risque de vague de froid serait par exemple augmenté. En particulier, en Amérique et en Asie puisque l’air polaire continental aurait plus de facilité à s’écouler vers le sud. Certains chercheurs ont indiqué que les observations témoignaient de la réalité du phénomène. Mieux : que celui-ci allait continuer à mesure que le pôle poursuivrait son réchauffement.

L’hypothèse est devenue populaire en 2012 à la suite d’un papier publié par Jennifer Francis et Stephen Vavrus. Cependant, d’autres scientifiques ont rapidement questionné la pertinence de ces idées. Et pour cause, le détail du cheminement physique impliqué n’était pas compris et les modèles climatiques ne projetaient pas de telles évolutions. En outre, les arguments revendiquant les observations comme arbitre contenaient plusieurs points faibles, allant parfois même jusqu’à l’erreur méthodologique.

Alors que le débat s’intensifiait, Jennifer Francis déclara en 2014 que « d’ici quelques années, alors que l’amplification arctique se poursuivra, nous aurons suffisamment de données pour savoir si nous avons raison ou non ». Nous sommes désormais en 2020. Or, selon une note récemment publiée dans Nature, on ne peut pas dire que le réel ait donné son aval aux soutenants de cette théorie. En effet, des chercheurs ont actualisé plusieurs métriques – dont une mesure de la sinuosité du flux d’ouest. Ils montrent que les tendances annoncées n’ont pas trouvé écho dans la réalité et que l’interprétation d’une période d’observations limitée a probablement mené à des conclusions erronées.

Réchauffement de l’Arctique : une influence non-apparente sur la dynamique atmosphérique

« Les tendances à court terme de la fin des années 1980 au début des années 2010 et qui ont alimenté la spéculation initiale sur l’influence de l’Arctique ne se sont pas poursuivies au cours de la dernière décennie », indique le papier. « Les tendances à long terme (…), mises à jour jusqu’à l’hiver 2019/20, sont faibles et indiscernables de la variabilité interne ».

arctique
Évolution de divers paramètres en hiver entre 1980 et 2020. De haut en bas : extension de banquise, température arctique, oscillation arctique, sinuosité du courant-jet, température de surface aux moyennes latitudes, température de surface en Asie centrale, température minimale aux moyennes latitudes et mois froids (en % des terres). Enfin, la zone grisée montre la période d’observation où l’arctique semblait bouleverser les moyennes latitudes. Toutefois, les tendances de plus long terme offrent une toute autre image. Crédits : J. Screen & al. 2020.

Alors que la zone polaire nord s’est réchauffée à un rythme continu au cours des dix dernières années, la circulation atmosphérique n’est pas devenue plus ondulante. Les épisodes hivernaux observés aux moyennes latitudes n’ont pas vu leur occurrence augmentée et le refroidissement asiatique observé sur la période 1990-2010 ne s’est guère poursuivi.

A contrario, à plus long terme, on constate un flux d’ouest légèrement plus rectiligne, une diminution des extrêmes froids et un réchauffement relatif en Asie centrale. Autrement dit, des évolutions en accord avec ce qu’anticipent les modèles climatiques. Aussi, comme le pôle se réchauffe plus que les tropiques, la variabilité thermique tend à diminuer. « Il est indéfendable de continuer à se fier aux tendances passées à court terme, qui ont disparu depuis, comme preuve d’une grande influence du réchauffement de l’Arctique sur le climat hivernal des latitudes moyennes et les conditions météorologiques extrêmes », concluent les chercheurs. Toutefois, ces avancées ne signent pas encore la fin du débat !

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