La cécité ou la surdité sont les handicaps sensoriels les plus connus du grand public. Mais il en existe un autre : l’anosmie. Une étude s’est récemment penchée sur les difficultés rencontrées par les personnes concernées par ce trouble.
Imaginez, du jour au lendemain, être incapable de sentir la moindre odeur en entrant dans une boulangerie, en vous baladant dans les travées d’un marché, ou simplement en cuisinant votre plat favori. Sans les odeurs, de nombreux petits plaisirs de la vie s’envolent pour ne plus jamais revenir. Mais pas que. Ne plus être capable de sentir la moindre odeur peut également vous mettre en danger et vous couper du monde. Cette perte sensorielle, c’est l’anosmie.
Aux causes multiples, l’anosmie touche environ 5 % de la population, mais reste pourtant encore très méconnue du grand public. C’est pourquoi de nombreuses personnes concernées manquent généralement de soutien, ce qui a pour effet de creuser davantage le mal-être ressenti.
Une récente étude publiée dans la revue Clinical Otolaryngology est l’une des premières à mettre en évidence les difficultés rencontrées par ces personnes qui ne peuvent pas sentir le monde qui les entoure. Une manière pour les chercheurs de cibler leurs besoins dans le but de mieux les accompagner.
Pour cette étude, les chercheurs ont collaboré avec Fifth Sense, un organisme anglais qui accompagne quotidiennement ces personnes souffrant de troubles de l’odorat et du goût, ainsi qu’avec la clinique Smell and Taste, de l’hôpital universitaire James Paget (Angleterre). Les témoignages écrits de 71 patients qui fréquentent régulièrement la clinique spécialisée ont été recueillis. Il est finalement ressorti plusieurs points importants.
Un trouble lourd de conséquences au quotidien
D’une part, tous les patients ou presque ont expliqué se sentir généralement tristes au quotidien. Pour Carl Philpott, médecin à la clinique et chercheur à l’Université d’East Anglia, au Royaume-Uni, ceci pourrait s’expliquer par une incapacité à relier les odeurs aux souvenirs heureux. « Les odeurs nous relient aux gens, aux lieux et aux expériences émotionnelles, dit-il. Les personnes qui ont perdu leur odorat passent à côté de tous ces souvenirs que l’odorat peut évoquer ».
Effectivement, notre système olfactif entretient une relation particulière avec notre mémoire dans la mesure où l’odorat est le seul de nos sens à ne pas traverser le thalamus avant d’atteindre le cerveau antérieur. Par ailleurs, rappelons que notre bulbe olfactif présente une forte densité de connexions près de notre hippocampe, qui participent à la formation de la mémoire.
C’est pourquoi une simple odeur de poulet rôti peut vous rappeler les bons dimanches en famille, tout comme une odeur de cambouis peut vous ramener à votre adolescence, lorsque vous enfourchiez votre premier scooter. Ces souvenirs nous rendent le plus souvent heureux. Si vous n’y avez plus accès, vous avez de facto moins accès au bonheur.
Au cours de cette étude, beaucoup ont également exprimé leur mal-être du fait d’avoir constamment besoin de demander de l’aide à leur entourage, quand d’autres ont déploré avoir perdu le plaisir de cuisiner, et même de manger.
En effet, la perte de l’odorat s’accompagne inévitablement d’une perte du goût. Nous en faisons tous l’expérience lorsque nous développons un rhume, mais cette perte de sensation reste ponctuelle. Pour les personnes souffrant d’anosmie, elle est permanente, ce qui nuit profondément à la qualité de vie et entraîne parfois des risques de troubles de l’alimentation.
Au cours de cette étude, beaucoup sont revenus sur les conséquences désastreuses pouvant découler de leur incapacité à détecter les signes de danger, comme l’odeur d’une fuite de gaz.
Pour reprendre cet exemple, on rappelle que le gaz domestique est naturellement indolore. Mais compte tenu du danger qu’il représente pour l’Homme (risques d’explosion ou d’asphyxie), on lui ajoute systématiquement une odeur dans le but de reconnaître ces risques potentiels. Sans odorat, nos signaux d’alerte sont, de ce fait, beaucoup moins réactifs.
Enfin, il semblerait également que beaucoup s’inquiètent de leur odeur corporelle. Interrogé par Gizmodo, Riley MacLeod, rédacteur en chef de Kotaku, s’est récemment exprimé sur le sujet.
« L’hygiène personnelle est une grande lutte, a-t-il expliqué. En tant que personne née sans odorat, j’ai cette vague compréhension que, par exemple, vous devez changer de vêtements ou vous sentez mauvais quand vous transpirez, mais je ne ne sais pas vraiment ce que cela signifie. Finalement mon odeur est en quelque sorte ce problème invisible auquel je dois faire face, mais qui, pour moi, n’est pas vraiment réel ».
Il concède également, non sans humour, les quelques avantages autorisés par sa condition. « Je suis vraiment utile pour sortir les poubelles puantes. J’ai également passé plusieurs années à travailler comme promeneur de chien car les odeurs de crottes ne me dérangent pas ! ».
Cette recherche, même si elle n’apporte aucun remède à l’anosmie, nous montre pourquoi il est important pour les autres, en particulier les médecins, de comprendre la détresse de ces personnes. De nombreux patients de l’étude ont en effet déclaré se sentir frustrés par l’attitude dédaigneuse parfois rencontrée dans certains cabinets.
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