Le constat vient de tomber à Abu Dhabi, et il confirme ce que les scientifiques redoutaient depuis des années. L’Union internationale pour la conservation de la nature a dévoilé samedi lors de son Congrès mondial des chiffres qui résonnent comme un signal d’alarme : près de 100 espèces supplémentaires d’abeilles sauvages européennes ont rejoint la liste des espèces menacées de disparition en l’espace d’une décennie. Un effondrement silencieux qui menace directement les fondations de notre sécurité alimentaire.
Une accélération vertigineuse du déclin
Les chiffres parlent d’eux-mêmes et dessinent une courbe inquiétante. En 2014, la liste rouge de l’UICN recensait 77 espèces d’abeilles sauvages menacées en Europe. Aujourd’hui, ce nombre a explosé pour atteindre au moins 172 espèces sur les 1928 évaluées. Cette multiplication par plus de deux en dix ans révèle une dynamique de dégradation qui s’emballe.
Les bourdons et les collètes figurent parmi les plus touchés, avec plus de 20% de leurs espèces désormais confrontées à un risque réel d’extinction. Ces insectes, pourtant discrets dans nos paysages quotidiens, jouent un rôle absolument central dans le maintien de la biodiversité européenne.
Les papillons dans la tourmente
Le phénomène ne se limite pas aux abeilles sauvages. Les papillons européens traversent eux aussi une crise majeure, avec une augmentation de 76% du nombre d’espèces menacées en seulement dix ans. Cette progression fulgurante témoigne d’une pression environnementale qui s’intensifie sur l’ensemble des pollinisateurs.
Le cas du grand blanc de Madère illustre tragiquement cette tendance. Cette espèce endémique de l’île portugaise vient d’être officiellement déclarée éteinte, rejoignant la catégorie la plus sombre de la liste rouge de l’UICN qui compte sept degrés, de la « préoccupation mineure » à « l’extinction ».
Un enjeu qui dépasse la simple biodiversité
Denis Michez, entomologiste belge et coordinateur de l’étude, rappelle une donnée essentielle : près de 90% des plantes à fleurs européennes dépendent de la pollinisation assurée par ces espèces. Sans elles, c’est l’ensemble de la chaîne alimentaire qui vacille.
Le problème ne peut être résolu par un simple recours aux colonies artificielles d’abeilles domestiques. Ces dernières, bien qu’utiles, représentent moins de 1% des espèces existantes et ne peuvent compenser la diversité fonctionnelle apportée par les populations sauvages. Chaque espèce remplit un rôle spécifique dans la pollinisation, et leur disparition crée des vides impossibles à combler.

Des causes identifiées mais persistantes
L’UICN pointe deux responsables majeurs dans ce naufrage écologique. La destruction de l’habitat arrive en tête, notamment celle des marais riches en fleurs qui constituent des zones de reproduction et d’alimentation cruciales pour ces insectes. L’urbanisation et l’intensification agricole grignotent progressivement ces espaces vitaux.
Le second facteur destructeur réside dans l’utilisation massive de pesticides, herbicides et engrais dans l’agriculture moderne. Ces substances chimiques réduisent drastiquement la biodiversité végétale et contaminent directement les pollinisateurs.
Un appel à l’action qui ne peut plus attendre
Jessika Roswall, commissaire européenne à l’Environnement, ne mâche pas ses mots : « La situation des abeilles sauvages, des papillons et des autres pollinisateurs est grave. Ils sont le fondement de nos systèmes alimentaires, de nos écosystèmes et de nos sociétés. »
Son appel à une « action urgente et collective » intervient dans un contexte politique tendu. En France, la mobilisation citoyenne autour de la loi Duplomb, qui avait réautorisé un pesticide dangereux pour les abeilles avant que cette autorisation ne soit retirée, avait rassemblé plus de 2 millions de signatures en juillet. Un signal que la société civile mesure désormais l’ampleur de l’enjeu.
