Au cours des dernières décennies, la prévision météorologique des heures et jours à venir est devenue une partie intégrante de l’information circulant dans nos sociétés. Elle est désormais familière, diffusée régulièrement via tout type de support médiatique et facilement accessible, notamment depuis l’explosion de l’Internet. En contrecoup, cette tendance semble s’être accompagnée d’une certaine banalisation de la tâche consistant à les produire – à l’exception faite des personnes impliquées dans le processus. Or, elle traduit un réel exploit scientifique qu’il conviendrait de ne pas perdre de vue.
Chaque prévision météorologique découle d’une manière ou d’une autre d’un modèle informatique qui a effectué une simulation de l’atmosphère. De façon très simplifiée, le modèle est d’abord initialisé de façon à fournir une image la plus fidèle possible de l’atmosphère réelle. Il résout ensuite un jeu d’équations différentielles non-linéaires afin d’anticiper la façon dont celle-ci devrait évoluer au cours des heures et jours à venir. Étant donné que les équations ne peuvent pas être résolues analytiquement, elles doivent être discrétisées spatialement et temporellement – i.e. l’atmosphère est découpée en petites « boîtes ». Chaque grand centre de prévision possède son modèle. À l’heure actuelle, le plus performant d’entre eux est celui du Centre Européen pour les Prévisions Météorologiques à Moyen Terme (CEPMMT), nommé IFS pour Integrated Forecasting System.
Si le problème semble assez simple de prime abord, il nécessite en fait la présence d’un réseau mondial d’observation et une puissance de calcul formidable*. Le déploiement, le maintien et l’exploitation d’un système d’observation à l’échelle du globe est déjà une entreprise gigantesque en soi. Elle nécessite notamment une coopération forte entre les différents pays, car l’atmosphère n’a pas de frontières. En conséquence, pour produire une bonne prévision météorologique plusieurs jours à l’avance sur une zone donnée, des observations sur tout le globe sont nécessaires.
Quant aux ordinateurs utilisés pour fabriquer l’état initial et simuler l’évolution future du temps, ils se placent parmi les plus puissants au monde. En effet, la météorologie est constamment à la recherche de la capacité de calcul la plus élevée possible, tant le problème posé est complexe. Au fil des années, les performances des ordinateurs ont rapidement augmenté, ce qui explique en partie l’amélioration des prévisions qui se chiffre à hauteur d’un jour tous les dix ans. Par exemple, la prévision actuelle à 6 jours est aussi précise que celle à 5 jours il y a dix ans de ça.
La prévision du temps, une révolution scientifique silencieuse
Lorsque l’on considère l’important degré de turbulence, les très nombreuses interactions et la vaste gamme d’échelles spatio-temporelles mises en jeu, il parait presque miraculeux d’arriver à anticiper avec autant de succès le comportement de la fine couche d’air qui entoure notre planète. Les résultats actuels sont sans aucun doute bien au-delà de ce que pouvaient espérer les scientifiques de la première moitié du XXe siècle – bien que les bases théoriques sous-jacentes étaient déjà énoncées. Aujourd’hui, les modèles à très haute résolution arrivent à reproduire avec fidélité l’évolution de structures de fine échelle, telles que les ondes de reliefs ou l’éclosion de cellules orageuses.
Le développement de la prévision du temps est donc un profond et réel succès scientifique. Dans le cas présent, on peut parler de révolution silencieuse car elle s’est faite continûment, portée par une compréhension et un développement technologique plutôt progressifs – avec peu de percées physiques fondamentales. Les implications de cette science sont pourtant colossales et sont d’autant plus considérables que, du point de vue informatique, la complexité de la tâche est comparable à une simulation du cerveau humain. En conclusion, une meilleure connaissance de l’histoire de la prévision météorologique et de la façon dont elle est produite, plutôt que d’inspirer à la banalité – parfois la défiance -, pourrait laisser place à l’étonnement… Et à plus d’humilité compte tenu de la dimension faramineuse du processus.
* En plus, bien entendu, d’une compréhension physique des phénomènes afin de les mettre en équations.
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