Et si une particule invisible parvenait à ébranler l’une des théories les plus ambitieuses de la physique moderne ? C’est la perspective vertigineuse qu’ouvre une nouvelle étude signée par une équipe de physiciens américains. Leur stratégie : traquer non pas ce que la célèbre théorie des cordes peut prédire, mais ce qu’elle ne peut en aucun cas expliquer. Et ils ont peut-être trouvé sa kryptonite : une étrange famille de cinq particules surnommée le 5-plet.
Encore jamais détectée, cette structure hypothétique, si elle se matérialisait, pourrait à la fois remettre en cause la validité de la théorie des cordes et offrir une piste sérieuse pour comprendre la matière noire. Une conjonction rare en physique théorique, et un tournant potentiel pour l’unification des lois fondamentales.
Un tournant méthodologique : tester la théorie… en la coinçant
La théorie des cordes séduit depuis des décennies pour sa promesse : unifier toutes les forces connues de l’univers dans un cadre mathématique unique. Elle postule que les particules fondamentales ne sont pas des points, mais des cordes minuscules vibrant dans un espace à dix ou onze dimensions.
Problème : cette théorie est si souple qu’elle peut s’adapter à presque toutes les observations. Cela la rend difficile à tester — donc difficile à falsifier, une exigence pourtant centrale en science.
C’est là qu’intervient l’approche audacieuse de Rebecca Hicks, doctorante à l’Université de Pennsylvanie, et de son équipe. Plutôt que de demander ce que la théorie peut prédire, ils ont inversé la démarche : quelles structures ne pourraient jamais émerger de la théorie des cordes, quelles que soient les conditions ?
Le 5-plet : une anomalie théorique aux airs de menace
En explorant en profondeur les modèles de particules issus de la théorie des cordes, les chercheurs ont identifié un grand absent : un groupe de cinq particules apparentées formant un “5-plet”, structure qui n’émerge dans aucun modèle existant basé sur les cordes.
Ce 5-plet aurait une symétrie interne particulière et comprendrait un fermion de Majorana – une particule fascinante qui est sa propre antiparticule. Selon les calculs, la découverte d’une telle famille de particules contredirait directement la validité des constructions connues de la théorie des cordes.
“Nous avons épluché tous les outils à notre disposition, et ce paquet à cinq membres n’apparaît jamais”, explique Jonathan Heckman, physicien théoricien à l’UPenn et coauteur de l’étude.
Une nouvelle piste vers la matière noire
L’intérêt du 5-plet ne s’arrête pas là. L’une de ses particules, ce fameux fermion de Majorana, correspond parfaitement au profil recherché pour la matière noire, cette forme de matière invisible qui compose l’essentiel de l’univers, mais échappe encore à toute détection directe.
Massive, stable et interagissant très faiblement avec la matière ordinaire, cette particule hypothétique coche toutes les cases d’un bon candidat pour la matière noire. Si le 5-plet était observé, cela marquerait une avancée majeure dans l’une des plus grandes énigmes cosmologiques contemporaines.

Peut-on vraiment détecter un 5-plet ?
Sur le papier, l’idée est séduisante. En pratique, les obstacles sont considérables. Les 5-plets seraient extrêmement lourds, jusqu’à 10 000 fois la masse d’un proton, et ne pourraient être produits que dans des collisions à très haute énergie – comme celles que permet le Grand collisionneur de hadrons (LHC).
Mais même si ces particules étaient créées, elles seraient très instables, se désintégrant quasi instantanément en signaux faibles, difficilement distinguables du bruit ambiant. Comme des empreintes de pas dans la neige… qui s’effacent presque aussitôt.
Les chercheurs ont d’ores et déjà fouillé les données du détecteur ATLAS du LHC, sans succès. Mais cette recherche a permis de poser une contrainte utile : si les 5-plets existent, ils doivent avoir une masse supérieure à 650–700 GeV. Des versions plus légères sont désormais exclues.
Et maintenant ?
La prochaine étape, selon les auteurs, consistera à poursuivre la traque lors des futures phases du LHC, dont la sensibilité doit être augmentée dans les années à venir. D’autres accélérateurs, encore plus puissants, pourraient aussi être envisagés à plus long terme.
Derrière cette recherche se cache une ambition immense : tester la robustesse d’une théorie qui, depuis un demi-siècle, promet tout… sans rien livrer de concret. Si le 5-plet venait à se montrer, ce ne serait pas seulement une claque pour la théorie des cordes : ce serait un signal fort que de nouveaux chapitres de la physique sont prêts à s’ouvrir.
