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Crâne de Maba 1 en vue frontale (gauche) et latérale droite (droite). Crédit : John Hawks

La particularité de ce crâne vieux de 300 000 ans ? Il ne correspond à aucune espèce humaine

L’évolution humaine, souvent résumée à une ligne droite allant de l’australopithèque à Homo sapiens, est en réalité bien plus désordonnée que ce que l’on imagine. Des branches secondaires, des croisements, des disparitions… L’histoire de nos ancêtres est un enchevêtrement d’espèces, de formes et de surprises. Et parmi les spécimens les plus déroutants, un crâne découvert dans une grotte du sud de la Chine continue de défier toutes les classifications connues.

Un fossile oublié pendant des décennies

Tout commence en 1958, dans la province du Guangdong, lorsque des agriculteurs découvrent par hasard un fragment de crâne humain ancien, en récoltant du guano de chauve-souris pour l’utiliser comme engrais. Le fossile, baptisé Maba 1, est constitué de la partie supérieure d’un crâne et de quelques fragments de visage. Daté d’environ 300 000 ans, il a d’abord été étiqueté comme un « Néandertalien chinois », en raison de la ressemblance de certaines structures faciales avec celles de notre célèbre cousin européen.

Mais ce classement précoce, basé uniquement sur l’aspect extérieur du fossile, allait bientôt voler en éclats.

Quand la technologie moderne bouscule les certitudes

Une nouvelle étude, récemment publiée dans l’American Journal of Biological Anthropology, vient de réévaluer Maba 1 grâce à des tomodensitogrammes de haute précision, permettant de visualiser l’intérieur du crâne avec une grande finesse. L’objectif : examiner les cavités nasales, les sinus, la boîte crânienne, et surtout les vaisseaux diploïques, ces canaux situés dans la couche osseuse spongieuse du crâne, rarement explorés.

Les résultats sont… déconcertants.

Maba 1 présente un mélange de caractéristiques issues de différentes espèces humaines archaïques : un peu de Homo erectus, un soupçon de traits sapiens, un air de famille avec les Heidelbergensis… mais aucune correspondance claire. Même le volume de la boîte crânienne ne colle pas : trop petit pour un Dénisovien, pas assez développé pour un Homo sapiens, trop différent d’un Néandertalien.

En résumé ? Impossible à classer.

Un représentant du « fouillis du Pléistocène moyen »

Si ce genre d’énigme paléoanthropologique vous semble rare, détrompez-vous. Le Pléistocène moyen (entre -780 000 et -126 000 ans) est surnommé par les chercheurs « le fouillis du milieu ». À cette époque, de nombreux types d’hominidés se côtoient sur la planète : certains sont les ancêtres des humains modernes, d’autres des cousins éloignés, d’autres encore des hybrides. Et beaucoup ne rentrent dans aucune case précise.

On retrouve des spécimens tout aussi étranges en Afrique du Nord, en Afrique de l’Est ou encore en Zambie. Certains présentent des traits de Homo sapiens tout en conservant des caractéristiques plus archaïques. D’autres, comme Maba 1, semblent carrément isolés dans l’arbre de l’évolution humaine, comme s’ils appartenaient à une lignée éteinte dont nous ne connaissons encore presque rien.

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Maba 1 présente des signes de traumatisme crânien grave, probablement causé par des violences interpersonnelles. Crédit image : Ryan Somma via Wikimedia Commons

Un chaînon manquant ? Ou une branche oubliée ?

Alors, qui était Maba 1 ? Un hominidé hybride ? Un cousin perdu ? Un ancêtre direct dont nous n’avons pas encore compris l’importance ? Pour les auteurs de l’étude, la seule conclusion raisonnable est… de ne pas conclure.

Ils suggèrent de parler d’un hominidé « non-erectus », c’est-à-dire qui ne descend pas de la lignée classique de Homo erectus, tout en refusant de le ranger dans une espèce existante.

En d’autres termes, Maba 1 ne rentre dans aucune boîte – ni celle des Néandertaliens, ni celle des Dénisoviens, ni même dans notre lignée directe. Il vient ajouter une nouvelle pièce à un puzzle déjà compliqué, mais crucial pour mieux comprendre l’incroyable diversité de l’évolution humaine.

Un crâne, mille questions

L’étude de Maba 1 rappelle à quel point nous ne connaissons qu’une infime partie de notre propre histoire. À mesure que la technologie avance, elle nous permet d’explorer des aspects du passé jusqu’alors inaccessibles. Mais elle révèle aussi l’ampleur de ce que nous avons encore à découvrir.

Peut-être que d’autres fossiles, encore enfouis sous terre ou oubliés dans des musées, viendront un jour éclairer le mystère de Maba 1. En attendant, ce crâne vieux de 300 000 ans nous oblige à repenser l’évolution humaine non comme une ligne droite… mais comme une forêt de chemins entrecroisés, remplis d’espèces perdues, de croisements étranges et de surprises.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.