La hausse abrupte du CO2 il y a 16 000 ans aurait été déclenchée par un changement des vents dans l’océan austral et ce n’est pas une bonne nouvelle

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Une nouvelle explication a été fournie par des chercheurs au sujet d’un événement brutal de hausse du dioxyde de carbone atmosphérique qui s’est produit il y a environ 16 000 ans. Le point central de l’explication réside dans le renforcement et la contraction vers le pôle Sud des vents d’ouest soufflant sur l’océan austral. Actuellement, le changement climatique provoque le même renforcement et déplacement méridien de ces vents, suggérant qu’un rejet brutal de CO2 par l’océan pourrait à nouveau se produire.

L’Heinrich Stadial 1 (HS1) est un épisode climatique du début de la dernière déglaciation s’étendant d’environ -17 600 ans à -14 700 ans et dont la compréhension revêt un intérêt particulier. En effet, il est caractérisé par une phase majeure dans la hausse du CO2 à cette époque, hausse qui accompagne les processus de sortie d’une phase glaciaire. Au cours de ce laps de temps, le dioxyde de carbone s’est accru d’environ 40 ppm dans l’atmosphère et les température moyennes de surface en Antarctique et dans l’océan austral se sont respectivement élevées de 5°C et 3°C. Si la température s’est élevée dans les hautes latitudes de l’hémisphère sud, elle s’est toutefois refroidie dans celles de l’hémisphère nord. Cette évolution contrastée est liée un affaiblissement de la circulation océanique dans le nord de l’Atlantique (lié à la débâcle d’icebergs) réduisant de ce fait le transport méridien de chaleur. L’effet direct de cette redistribution d’énergie est toutefois fortement amplifié par d’autres processus comme on le verra brièvement plus loin.

La question des mécanismes responsables de la hausse abrupte de dioxyde de carbone dans l’atmosphère est restée très débattue. Des enregistrements glaciaires à haute résolution ont révélé que cette augmentation du taux de CO2 atmosphérique s’est faite en deux phases brutales et notamment il y a environ 16 000 ans au cours d’une période qui aurait duré moins d’une centaine d’années. Les hypothèses proposées jusqu’à présent reposaient en particulier sur des variations de l’apport en fer dans l’océan austral qui auraient modulé l’efficacité de la pompe biologique de CO2 ou sur des changements de l’utilisation en nutriments. Toutefois, ces hypothèses ne réussissaient pas à capturer l’ampleur, le timing et la rapidité des hausses enregistrées dans les carottes de glace.

Dans une nouvelle étude publiée le 27 juin 2018 dans la revue Nature, des chercheurs ont proposé une explication séduisante qui concilierait les différents éléments actuellement disponibles. Via une modélisation climatique, ils ont en effet montré qu’une modulation des forts vents d’ouest soufflant sur l’océan austral (les 40e rugissants et 50e hurlants bien connus des navigateurs) pouvait expliquer les hausses de dioxyde de carbone sur des périodes millénaires, mais aussi celles plus brutales d’échelle multi-décennales.

Au cours de l’épisode d’il y a ~16 000 ans, ces vents d’ouest se sont contractés vers le continent Antarctique conduisant au dégazage de CO2 de l’océan vers l’atmosphère par un effet domino. Leur simulation ne reproduit pas uniquement cette hausse rapide du gaz carbonique, mais également d’autres changements reliés à l’HS1, dont la modulation du cycle hydrologique. Les événements peuvent s’articuler comme suit : suite à la débâcle d’icebergs, le ralentissement de la circulation océanique dans le nord-atlantique et le refroidissement associé ont conduit à un déplacement de la zone de convergence intertropicale (la bande orageuse qui ceinture le globe près de l‘équateur) vers le sud. Cette translation a conduit à un renforcement et à un déplacement des vents d’ouest de l’hémisphère sud vers l’Antarctique, ce qui a favorisé la ventilation de l’océan (soit un brassage plus fort entre l’eau de surface et l’eau située en profondeur), faisant finalement remonter du carbone des eaux intermédiaires et l’injectant dans l’atmosphère en quelques dizaines d’années seulement. La remontée des eaux plus profondes a participé quant à elle à la hausse plus lente du dioxyde de carbone à l’échelle du millénaire. Outre l’effet réchauffant du dioxyde de carbone libéré, cette reconfiguration a également conduit à amplifier l’augmentation des températures aux hautes latitudes de l’hémisphère sud via une hausse de l’efficacité du transport de chaleur et par la baisse de la couverture de glace de mer.

Par ailleurs, ces nouveaux résultats ont de fortes implications pour le changement climatique en cours. En effet, les observations suggèrent que les vents d’ouest de l’hémisphère sud se renforcent et migrent vers le pôle Sud en lien avec le changement climatique de la même manière qu’ils l’ont fait au début de la dernière déglaciation. Ainsi, un pic de CO2 pourrait à nouveau se produire en réponse aux changements de circulation océanique forcés par les vents. « Les échanges de carbone, en particulier entre l’océan Austral et l’atmosphère, sont importants pour notre climat. On estime que l’océan Austral absorbe environ 25% de nos émissions et qu’environ 43% de ce carbone est absorbé par l’océan au sud de 30° de latitude sud », a déclaré L. Menviel, auteur principal de l’étude. À l’avenir, un meilleur réseau d’observation dans l’océan austral sera nécessaire afin de surveiller la possible occurrence d’un pic d’émission de gaz carbonique et à la hausse rapide des températures qui s’en suivrait.

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