La force de la force forte mesurée avec une précision record

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Lier les quarks pour former des protons, des neutrons et des noyaux atomiques exige une force exceptionnelle : la force forte. Portée par les particules de gluons, elle est aujourd’hui considérée comme la plus puissante de toutes les forces fondamentales de la nature, les autres étant l’électromagnétisme, la force faible et la gravité. Cependant, c’était aussi la moins précisément mesurée jusqu’à présent. Dans un article récent, la collaboration ATLAS décrit comment elle a utilisé le boson Z, le porteur électriquement neutre de la force faible, pour déterminer la force de la force forte avec une incertitude sans précédent de moins de 1 %.

Le maintien des quarks dans les noyaux atomiques

La force forte est celle qui agit sur les quarks et les gluons, des particules élémentaires. Les quarks sont les constituants fondamentaux des hadrons, comme les protons et les neutrons. Il en existe six sortes avec des charges de couleur spécifiques. Les gluons servent de leur côté de messagers pour la force forte et maintiennent les quarks ensemble à l’intérieur des hadrons.

La caractéristique unique de la force forte est ce que les physiciens appellent le confinement des quarks, ce qui signifie que l’on ne peut jamais observer de quarks libres dans la nature. Lorsque l’on tente de séparer deux quarks, la force forte augmente à mesure que la distance entre eux augmente. À un certain point, il devient alors plus favorable de créer de nouvelles paires quark-antiquark à partir de l’énergie, plutôt que de continuer à séparer les quarks. Ainsi, les quarks se retrouvent toujours confinés à l’intérieur des hadrons.

La force forte joue donc un rôle fondamental dans la stabilité des noyaux atomiques et a eu un impact sur la formation des éléments dans l’Univers depuis le Big Bang. Sans elle, la matière telle que nous la connaissons n’existerait pas, c’est dire son importance, mais comment la mesurer ?

Préciser la constante de couplage fort

L’intensité de la force forte est décrite par un paramètre fondamental du modèle standard connu sous le nom de constante de couplage fort. Si les prévisions de cette constante se sont certes améliorées au cours de ces dernières décennies, l’incertitude sur sa valeur reste plusieurs fois supérieure à celle des autres forces fondamentales. À titre de comparaison, la force de la force nucléaire forte, qui est pourtant un paramètre clé du modèle standard, n’est connue qu’avec une précision en pourcentage, tandis que la force électromagnétique, qui est environ quinze fois plus faible, est connue avec une précision supérieure à une partie sur un milliard.

Pour préciser les modèles théoriques, il était donc nécessaire de réduire cette incertitude.

Dans le cadre de ces travaux, la collaboration ATLAS (un important projet de recherche en physique des particules menée au LHC du CERN) a étudié les bosons Z produits lors de collisions proton-proton à une énergie de collision de 8 TeV. Les bosons Z sont généralement produits lorsque deux quarks dans les protons en collision s’annihilent. Dans ce processus d’interaction faible, la force forte entre en jeu par le rayonnement des gluons émis par les quarks annihilants. Ce rayonnement donne au boson Z un « coup de pied » transversal à l’axe de collision (impulsion transversale) dont l’ampleur dépend de la forte constante de couplage.

Une mesure précise de la distribution des impulsions transversales du boson Z et une comparaison avec des calculs théoriques de cette distribution permettent alors de déterminer la forte constante de couplage.

Un exemple simplifié

Pour mieux se rendre compte de ce processus, imaginez deux trains qui se dirigent l’un vers l’autre. Chaque train représente un proton, une particule subatomique chargée positivement, et les voies sur lesquelles ils se déplacent sont les trajectoires à l’intérieur du Grand collisionneur de hadrons (LHC) au CERN. Imaginez maintenant qu’à l’intérieur de chaque train (proton), il y a des passagers (quarks). Lorsque ces trains se croisent, il arrive que deux passagers (quarks) se rencontrent et se bousculent, se transformant en une autre particule : le fameux boson Z.

Cela étant dit, les mouvements de ces bosons sont ensuite influencés par d’autres « personnages invisibles » à l’intérieur des trains, appelés gluons. Les gluons, comme dit plus haut, sont comme des messagers qui transportent des informations sur la force forte. Dans ce cas de figure, ils donnent aux quarks formant des bosons Z une petite poussée de côté pendant leur danse, un peu comme si les passagers dans les trains recevaient un coup de pied transversal qui les ferait dévier de leur trajectoire.

Pourquoi cette petite « poussée de côté » ?

Comme dit plus haut, la force forte qui maintient les quarks ensemble à l’intérieur des protons et d’autres particules est médiée par les gluons. Pour faire très simple, ces derniers sont dotés d’une propriété particulière appelée « charge de couleur ». Contrairement à la charge électrique que nous associons aux particules chargées, comme les électrons, la charge de couleur est une propriété spécifique à la force forte. Les gluons peuvent porter l’une des trois « couleurs » principales (rouge, vert ou bleu) et leurs « anticouleurs » correspondantes (antirouge, antivert ou antibleu).

La chose importante à retenir est que, selon les règles de la force forte, les quarks à l’intérieur des protons doivent avoir des charges de couleur qui se compensent mutuellement. En d’autres termes, un quark rouge doit être associé à un quark antirouge, un quark vert doit être associé à un quark antivert, et ainsi de suite.

Lorsque deux quarks se rapprochent suffisamment dans une collision de protons, les gluons, qui portent des charges de couleur, sont échangés entre eux. Cela maintient l’équilibre des charges de couleur. Cependant, les gluons ne se contentent pas de transmettre ces charges, ils portent également de l’énergie. C’est cette énergie qui se traduit par la « poussée de côté » (l’impulsion transversale) que les quarks peuvent acquérir lors de leur interaction.

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Une précision inégalée

La mesure de cette déviation du boson Z est importante. En mesurant à quel point les quarks sont déviés lors de leur collision et en comparant ces mesures à des calculs théoriques, les physiciens peuvent en effet déterminer la valeur de la constante de couplage forte avec plus de précision.

Ici, l’équipe ATLAS a mesuré l’impulsion transversale du boson Z via ses produits de désintégration. Une comparaison de ces mesures avec les prédictions théoriques a permis aux chercheurs de déterminer avec précision que la forte constante de couplage à l’échelle de masse du boson Z est de 0,1183 ± 0,0009, avec une incertitude relative de seulement 0,8 %. Il s’agit de la mesure la plus précise de l’intensité de la force forte réalisée à ce jour par une seule expérience.

Le fait que nous ayons désormais mesuré la force de couplage des forces fortes avec un tel niveau de précision est une réussite spectaculaire. Encore une fois, la puissance du LHC et l’expérience ATLAS repoussent les limites de la précision et améliorent notre compréhension de la nature.

Les détails de l’étude sont publiés dans Nature Physics.