L’argent ne fait pas le bonheur, mais il y contribue ? En société, le lien entre l’argent et le bonheur est souvent débattu. Ces échanges parfois houleux opposent alors souvent des visions différentes de la vie, certains défendant la beauté d’une existence simple et des petits plaisirs du quotidien qui ne coûtent rien (relations avec ses proches, moments de partage, etc.) et d’autres ayant une opinion plus terre à terre qui soulève l’importance de l’argent dans notre confort quotidien et pour répondre à nos envies, nos besoins et nos obligations (logement, nourriture, voyages, réalisation de ses rêves, loisirs…).
Si cette question épineuse divise le grand public (probablement, car elle n’a pas de réponse parfaite et s’accompagne de nuances complexes), elle intéresse aussi la science. De nouvelles recherches ont notamment récemment apporté des éclaircissements fascinants sur cette relation complexe et apportent une réponse sans équivoque sur la manière dont le revenu influence notre satisfaction et peut effectivement « acheter » le bonheur. Et plus on en aurait, mieux ce serait selon leur auteur…
Argent et bonheur : des études et des résultats contradictoires
Selon la science, l’argent peut contribuer au bonheur en répondant à plusieurs besoins fondamentaux et psychologiques. Avoir un revenu suffisant permet en effet de répondre aux besoins de base comme le logement, la nourriture, la santé et l’éducation. Cette sécurité financière réduit ainsi le stress lié aux inquiétudes quotidiennes, ce qui est essentiel pour le bien-être mental.
L’argent offre en outre une plus grande liberté de choix. Cela permet en effet aux individus de prendre des décisions qui correspondent mieux à leurs désirs et valeurs personnelles. Or, ce sentiment de contrôle sur sa propre vie est fortement lié à la satisfaction personnelle et au bien-être. Enfin, des revenus plus élevés permettent un meilleur accès aux soins médicaux, à une alimentation de qualité et à des conditions de vie plus saines, ce qui a un impact direct sur la santé physique et mentale, et permet également d’accéder à des loisirs, des voyages et des expériences enrichissantes qui peuvent renforcer les liens sociaux et favoriser des souvenirs positifs.
Plusieurs études ont ainsi montré qu’un manque de ressources financières est corrélé à trois fois plus de risque de souffrir d’anxiété et de dépression, tandis qu’une amélioration de la situation financière peut contribuer à une amélioration de l’humeur et du bien-être général. Cependant, il est souvent admis qu’au-delà d’un certain seuil de revenu, l’augmentation des apports financiers n’apporte plus de gains significatifs en termes de bonheur, notamment, car les besoins fondamentaux sont déjà satisfaits et que l’argent n’est pas la seule source de bien-être. Toutefois, de nouvelles recherches vont à contre-courant avec ces découvertes.
Les recherches de Matthew Killingsworth sur l’argent et le bonheur
Les recherches publiées par Matthew Killingsworth, spécialiste du bonheur à la Wharton School, indiquent que les millionnaires et milliardaires sont plus heureux que ceux qui gagnent jusqu’à 500 000 dollars par an. Cette étude contredit ainsi directement la théorie du tapis roulant hédonique (ou adaptation hédonique) qui suggère que peu importe la richesse accumulée, les individus s’habituent à un niveau de bonheur normal et que les plaisirs que l’argent peut offrir perdent de leur nouveauté une fois atteint un certain seuil de richesse.
Cependant, le bonheur ne semble pas se stabiliser à mesure que les revenus augmentent. En fait, Killingsworth a trouvé une corrélation entre l’augmentation du bien-être émotionnel et les revenus chez les millionnaires et milliardaires, ce qui se traduit par des taux de bonheur plus élevés. « Les résultats suggèrent que l’association positive entre l’argent et le bien-être se poursuit bien au-delà des premiers échelons économiques », affirme-t-il.
Plus on en aurait, mieux ce serait
En combinant les données dans ses recherches antérieures, ainsi que les résultats d’une étude de 2018 sur 4 000 personnes ayant une richesse médiane de trois à huit millions de dollars provenant de dix-sept pays, et une enquête de 1985 sur la liste des Américains les plus riches de Forbes, Killingsworth a pu déterminer la corrélation entre l’augmentation de la richesse et les niveaux de bonheur plus élevés. Dans son rapport, il définit les Américains à revenu moyen comme étant ceux « vivant dans des ménages avec un revenu annuel compris entre les deux tiers et le double du revenu médian des ménages [américains] », soit environ 74 580 dollars, selon le recensement des États-Unis.
Or, « la différence de satisfaction de vie entre les riches et ceux dont les revenus se situent entre 70 000 et 80 000 dollars [par an] était presque trois fois plus grande que la différence entre 70 000 et 80 000 dollars [par an] et la moyenne des deux groupes de revenus les plus bas », selon l’étude de Killingsworth. Son étude a également révélé que les individus riches étaient « considérablement et statistiquement plus heureux que les personnes gagnant plus de 500 000 dollars chaque année ». Ceux qui gagnent environ 500 000 dollars ou plus ont en effet rapporté une satisfaction de vie moyenne de 5,5 à 6 sur 7, tandis que ceux à environ 100 000 dollars par an ont indiqué une note d’environ 4,6. Enfin, ceux à environ 15 000 à 30 000 dollars par an ont quant à eux rapporté un peu plus de 4.
« L’ampleur de la différence entre les bas et les hauts revenus est gigantesque », a souligné le scientifique qui estime que cela indique une division marquée des niveaux de bonheur entre les classes moyennes et supérieures. « Dans les limites de ce que l’argent peut expliquer, une grande partie de cette différence se situe au-dessus du revenu médian. »
La question des riches malheureux
Bien que l’argent soit un facteur significatif dans le contentement global d’une personne, dans une étude précédente, le chercheur avait découvert qu’une minorité de personnes riches ont trouvé une insatisfaction à mesure que leurs revenus augmentaient. Killingsworth avait alors déclaré : « pour la plupart des gens, des revenus plus élevés sont associés à un plus grand bonheur. L’exception concerne les personnes financièrement aisées, mais malheureuses. Par exemple, si vous êtes riche et triste, plus d’argent ne vous aidera pas. Pour tous les autres, plus d’argent s’associait à un bonheur plus élevé, dans des proportions quelque peu variables. » Cette minorité malheureuse représentait 20 % des participants, dont le malheur diminuait avec l’augmentation des revenus jusqu’à un certain seuil, puis n’affichait plus de progrès.
Cependant, ces participants ont signalé des sentiments associés à des problèmes préexistants qui n’étaient pas liés à leurs revenus, notamment un chagrin d’amour, un deuil ou une dépression clinique. Leur « souffrance » a ainsi légèrement diminué à mesure que leurs revenus atteignaient environ 100 000 dollars, mais pas beaucoup plus au-delà de ce seuil.
Ces riches tristes sont une minorité
L’auteur de ces travaux souligne toutefois que les personnes riches semblent en majorité plus heureuses d’après les données obtenues, une observation qu’il explique très simplement. « Un plus grand sentiment de contrôle sur la vie peut expliquer environ 75 % de l’association entre l’argent et le bonheur. Donc, je pense qu’une grande partie de ce qui se passe, c’est que lorsque les gens ont plus d’argent, ils ont plus de contrôle sur leur vie, plus de liberté pour vivre la vie qu’ils souhaitent vivre. »
Le rapport, non révisé par des pairs, est disponible ici.