Le 8 mai dernier, l’ambassadrice du Kazakhstan en France Gulsara Arystankulova était en déplacement dans le petit village de Jouqueviel, dans le Tarn. Une visite officielle pour un hommage aux centaines de résistants originaires du Kazakhstan qui ont participé aux combats de la résistance dans la région lors de la Seconde Guerre mondiale.
De mémoire de Tarnais, on avait rarement vu autant d’agitations dans la commune de Jouqueviel. Avec exactement quatre-vingt-dix-huit habitants au compteur, le petit bourg du nord du département se caractérise surtout pour son atmosphère calme, tranquille et paisible.
Mais le 8 mai dernier, dans le cadre des commémorations pour la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’ambassadrice du Kazakhstan en France est venue de Paris pour rendre hommage aux centaines de Kazakhs qui ont combattu dans le maquis local. La diplomate a déposé une gerbe de fleurs devant une stèle dressée dans la commune en 1995 pour rendre hommage aux combattants soviétiques tombés dans la région lors de la Libération.
Explication d’un fait historique méconnu.
Des Steppes du Kazakhstan au Tarn
En effet, de nombreux prisonniers de guerre soviétiques — en particulier originaires d’Asie centrale — ont été enrôlés de force dans l’armée allemande lors de la Seconde Guerre mondiale. Mais pour éviter des défections massives vers les rangs de l’armée rouge, ces milliers d’hommes ont été rapidement été cantonnés loin du front de l’Est aux Pays-Bas, en Belgique, mais surtout en France, où ils ont été contraints aux travaux forcés. Une présence importante, notamment aux alentours d’Albi, mais mal connue en France et même au Kazakhstan.
Mais depuis 2007, l’historienne kazakhstanaise Gulnara Mendikulova travaille à récolter les archives et les témoignages afin de faire toute la lumière sur cette facette méconnue de l’Histoire des deux pays. Un travail de fourmi, réalisé dans les archives kazakhs, russes et surtout françaises : Archives nationales de France, INALCO, bibliothèque de l’Institut des langues et civilisations orientales, Musée de la Résistance nationale… En 2015, elle poursuit ses recherches dans les archives municipales de Toulouse et d’Albi, où avaient opéré fin 1944 des détachements partisans constitués de prisonniers de guerre soviétiques. Photos et documents révèlent alors le rôle central dans la région joué par ces partisans venus de loin.
Des recherches compilées dans un livre intitulé « Participation des Kazakhs à la Seconde Guerre mondiale en Europe occidentale » et qui révèle la chronologie des faits : enrôlés dans la « légion du Turkestan », une division de la Wehrmacht composée de prisonniers de guerre soviétiques venus d’Asie centrale et du Caucase, des milliers de combattants avaient été transférés en France au début de l’année 1944. Rapidement cloîtrés dans des camps et employés de force, ces Kazakhs, Ouzbeks et cosaques prennent rapidement contact avec les maquisards locaux, s’évadent les uns après les autres et rejoignent les réseaux de résistance.
L’historienne Gulnara Mendikulova a tenté de répertorier chacun de ces combattants pour retracer leurs parcours et comprendre leurs rôles respectifs dans les régiments « mongols » et « Stalingrad », créés par les résistants communistes locaux et quasi exclusivement composés de ces soldats venus des steppes. Parmi eux, Ali Moldagaliev, devenu l’un des chefs d’État-major du réseau, Akhmet Bektaev, médecin-chef, Uteule Bisengaliev, commandant… Tous originaires du Kazakhstan. Selon les sources et les témoignages collectés depuis une quinzaine d’années par l’historienne, un certain Kadem Zhumaniyazov — l’un des commandants — aurait même joué un rôle clé en participant à l’évasion de plusieurs dizaines de ces compatriotes des camps allemands.
Et à l’été 1944, Zhumaniyazov et plusieurs centaines de combattants kazakhs sont ainsi impliqués dans les combats contre les unités allemandes présentes sur place. Des dizaines d’entre eux vont perdre la vie lors de la libération des villages de Castanet et de Cestayrol, mais aussi à Albi, Toulouse, Montauban ou Carcassonne.
Résistants étrangers, qui plus est étroitement liés à l’Union soviétique de par leurs origines nationales, ces combattants vont finalement rapidement disparaître de la mémoire nationale entretenue en France autour de la résistance. Si certains vont émigrer, notamment aux États-Unis, la plupart retourneront dans leur pays natal. Malheureusement, marqués du sceau du combat de la résistance pour la liberté, la plupart seront rapidement désignés comme des éléments « subversifs » par le pouvoir communiste et seront victimes des purges staliniennes.