excréments manchots guano banquise Antarctique
Crédits : TasfotoNL/istock

Inattendu mais vrai : comment des tas d’excréments pourraient sauver la banquise

L’image que l’on se fait des manchots Adélie — petits, dodus, trottinant maladroitement sur la glace — cache en réalité un rôle bien plus crucial qu’on ne l’imaginait. Selon une étude récente de l’Université d’Helsinki, ces oiseaux marins emblématiques de l’Antarctique pourraient jouer un rôle de régulateurs climatiques locaux. Leur outil inattendu : le guano, autrement dit… leurs excréments.

Quand la biologie influence l’atmosphère

Début 2023, une équipe de chercheurs s’est installée près de la base argentine de Marambio, sur la péninsule Antarctique, avec un objectif original : mesurer l’impact des émissions biologiques sur la formation des nuages. Leur attention s’est portée sur une colonie géante de 60 000 manchots Adélie (Pygoscelis adeliae), nichant non loin de là.

En déféquant en grande quantité sur la glace et le sol gelé, les manchots libèrent de l’ammoniac (NH₃). Ce gaz, bien connu des climatologues, joue un rôle clé dans la formation d’aérosols atmosphériques. Ces particules microscopiques agissent comme des noyaux de condensation, permettant à la vapeur d’eau de former des nuages.

Une influence mesurable… et massive

Les résultats de l’équipe sont édifiants. Lors de vents orientés depuis la colonie, les capteurs ont mesuré jusqu’à 13,5 parties par milliard d’ammoniac, soit une augmentation de 1 000 fois par rapport aux niveaux mesurés dans des zones sans manchots. Cette hausse soudaine a entraîné une multiplication par 10 000 des concentrations de particules d’aérosols.

À la clé : la formation rapide d’un brouillard épais, suivi de nuages bas visibles à l’œil nu. Ces nuages réfléchissent une partie du rayonnement solaire incident, contribuant à refroidir localement la surface terrestre, un processus connu sous le nom d’effet de forçage radiatif négatif.

Mais ce qui a surpris les chercheurs, c’est la persistance de cet effet même après la migration des manchots. Un mois après leur départ, le sol imbibé de guano continuait à libérer de l’ammoniac à des niveaux 100 fois supérieurs à la normale. Le climat local restait donc influencé par une empreinte biologique différée, un phénomène rarement observé à cette échelle.

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Manchot Adélie sautant entre deux banquises (image représentative). Crédits : nicholas_dale/iStock

Une boucle de rétroaction naturelle

Cette découverte révèle une boucle de rétroaction positive pour l’environnement : en favorisant la formation de nuages, les manchots participent involontairement à ralentir la fonte de la glace de mer, qui constitue pourtant leur habitat vital. Plus de nuages signifie moins de rayonnement solaire absorbé, donc plus de froid et de glace — un mécanisme protecteur qui pourrait contribuer à stabiliser certaines zones menacées de l’Antarctique.

Cela illustre à quel point la faune et les cycles climatiques sont interconnectés. On savait déjà que certaines espèces pouvaient influencer leur écosystème, mais voir un oiseau marin contribuer à la régulation atmosphérique régionale par simple processus naturel est aussi rare que fascinant.

Une leçon d’humilité pour la science

Alors que les modèles climatiques peinent encore à intégrer toutes les interactions entre biologie et atmosphère, cette étude rappelle que les mécanismes naturels sont souvent plus subtils — et puissants — qu’on ne l’imagine. Même un « déchet » aussi trivial que du guano peut, à grande échelle, modifier le climat local et peser sur l’avenir d’un continent entier.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.