Il mesurait plus de trois mètres de haut, pesait aussi lourd qu’un ours, et ne volait pas. Pendant des millions d’années, le moa a régné sur les forêts de Nouvelle-Zélande avant de disparaître brutalement quelques siècles après l’arrivée des humains. Aujourd’hui, une équipe de scientifiques et de représentants maoris se donne pour objectif de faire renaître cet oiseau géant disparu, dans l’un des projets de « dé-extinction » les plus audacieux jamais entrepris.
Ce projet, mené par la start-up américaine Colossal Biosciences en collaboration avec le Centre de recherche Ngāi Tahu en Nouvelle-Zélande, vise à recréer les génomes des neuf espèces de moas, à partir d’ADN fossile. À terme, les chercheurs espèrent pouvoir réintroduire ces oiseaux dans leur environnement naturel, avec l’espoir qu’ils reprennent leur rôle écologique perdu et reconnectent les peuples autochtones à une partie essentielle de leur patrimoine.
Un fantôme de 230 kg
Parmi les neuf espèces éteintes, certaines étaient de taille modeste, à peine plus grandes qu’une dinde. Mais d’autres, comme Dinornis robustus, le moa géant de l’île du Sud, pouvaient atteindre jusqu’à 3,6 mètres de haut et 230 kg. Totalement aptères, c’est-à-dire sans aucune trace d’ailes, les moas étaient uniques parmi les oiseaux connus.
Mais leur gigantisme n’a pas suffi à les protéger. Quelques générations seulement après l’installation des premiers Polynésiens (ancêtres des Maoris) en Nouvelle-Zélande, les moas avaient disparu. Chassés pour leur viande, confrontés à une perte rapide de leur habitat naturel, ces oiseaux autrefois omniprésents se sont éteints en à peine 150 ans.
Leur disparition a laissé un vide écologique. En tant que grands herbivores, les moas contribuaient à façonner les paysages végétaux. Leur absence a modifié la structure des forêts et des prairies, perturbant les équilibres entre espèces.
Faire renaître une espèce disparue
Colossal Biosciences, fondée par Ben Lamm, est à la pointe d’une nouvelle tendance scientifique : la dé-extinction. Grâce aux progrès récents en génomique et en biologie de synthèse, il devient théoriquement possible de « reconstruire » des espèces éteintes à partir de fragments d’ADN anciens et d’espèces proches encore vivantes. La méthode repose notamment sur l’édition génétique et la reproduction assistée, parfois via la construction d’ovules artificiels.
Le projet moa vient s’ajouter à une liste déjà impressionnante d’espèces ciblées par Colossal : le mammouth laineux, le dodo, le thylacine (ou tigre de Tasmanie) et le loup géant. Tous ont un point commun : leur extinction est en grande partie attribuée à l’action humaine.
Pour le moa, la tâche est complexe, mais bien avancée. Des chercheurs ont déjà séquencé une grande partie du génome du petit moa des buissons (Anomalopteryx didiformis). Plus de soixante ossements fossiles ont été échantillonnés, et plusieurs génomes d’espèces différentes sont en cours de reconstruction.

Un projet guidé par les peuples autochtones
Ce qui rend ce projet particulièrement singulier, c’est qu’il est conduit avec — et non simplement pour — les communautés maories. Le Centre de recherche Ngāi Tahu, affilié à la principale iwi (tribu) du sud de la Nouvelle-Zélande, assure la direction intellectuelle et culturelle du projet.
Ben Lamm affirme que les Maoris jouent un rôle comparable à un conseil d’administration : ils fixent le rythme, la direction et les objectifs. Le projet ne se limite pas à une prouesse scientifique ; il s’inscrit dans une dynamique de réappropriation culturelle, de restauration des écosystèmes et de transmission intergénérationnelle.
Cette collaboration permet aussi d’intégrer des valeurs spirituelles, des cérémonies traditionnelles et des connaissances anciennes dans un processus de haute technologie. Un dialogue inédit entre biotechnologie de pointe et savoirs autochtones, où chaque partie enrichit l’autre.
La science au service de la conservation
Au-delà de la fascination suscitée par l’idée de faire revivre un oiseau géant, ce projet soulève des questions de fond : quelle est la place de l’humain dans l’équilibre des écosystèmes ? Peut-on réparer les erreurs du passé grâce à la science ? Et jusqu’à quel point devons-nous intervenir dans le vivant ?
Colossal espère que les outils développés pour ressusciter le moa — extraction d’ADN ancien, reconstitution de génomes, technologies d’édition — pourront aussi servir à protéger des espèces menacées actuelles. À terme, la dé-extinction pourrait devenir un prolongement de la conservation, une nouvelle arme dans la lutte contre la sixième extinction de masse.
