Ils ne cherchaient pas d’antibiotique… Ils en ont trouvé un qui pourrait sauver des millions de vies.

C’est une découverte née d’un hasard de laboratoire — le genre d’accident scientifique que l’on raconte souvent après coup comme un tournant. Des chercheurs de l’université de Göttingen, en Allemagne, ont identifié un nouveau composé antibactérien d’une puissance exceptionnelle, alors qu’ils ne cherchaient qu’à comprendre le fonctionnement d’un antibiotique déjà connu. Ce composé, baptisé lactone de pré-méthylénomycine C, pourrait bien ouvrir la voie à une nouvelle génération de médicaments capables de venir à bout des bactéries résistantes, l’une des plus grandes menaces sanitaires du 21e siècle.

Quand la curiosité scientifique mène à l’inattendu

Tout a commencé par une expérience de biologie moléculaire classique. Les chercheurs Lona Alkhalaf et Greg Challis s’intéressaient à une bactérie du sol, Streptomyces coelicolor, connue pour produire un antibiotique appelé méthylénomycine A. Leur objectif : comprendre comment cet organisme fabrique naturellement cette molécule, afin d’en décrypter la chaîne de synthèse génétique et enzymatique.

En supprimant un à un les gènes impliqués dans la production, ils ont interrompu la réaction à différents stades, espérant identifier les étapes intermédiaires du processus. Mais cette manipulation minutieuse a mené à une surprise : deux nouvelles molécules inconnues sont apparues. Parmi elles, la lactone de pré-méthylénomycine C, un composé dont la structure chimique suggérait une activité biologique singulière.

Cette découverte n’avait rien de prévu. Pourtant, elle s’est rapidement imposée comme une trouvaille majeure. Car lorsqu’ils ont testé la molécule sur un panel de bactéries pathogènes, les chercheurs ont observé un résultat spectaculaire : l’antibiotique était cent fois plus efficace que celui dont il dérivait.

Une arme potentielle contre les bactéries les plus redoutées

Les tests ont révélé que la lactone de pré-méthylénomycine C agit avec une efficacité remarquable contre plusieurs bactéries dites “multirésistantes”, notamment Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM) et Enterococcus faecium, deux agents pathogènes fréquents dans les hôpitaux et responsables d’infections parfois mortelles.

Mais la véritable prouesse de ce composé tient à un autre point : il ne semble pas induire de résistance. Les chercheurs ont exposé des colonies bactériennes à des doses croissantes du nouveau composé pendant vingt-huit jours — un protocole conçu pour provoquer l’apparition de mécanismes de défense. Résultat : aucune modification significative n’a été observée. La concentration minimale nécessaire pour inhiber la croissance bactérienne est restée stable tout au long de l’expérience.

Autrement dit, la lactone de pré-méthylénomycine C ne se contente pas d’être puissante : elle pourrait être durable. Dans un monde où les antibiotiques perdent de leur efficacité à cause de la résistance bactérienne, cette stabilité ouvre une perspective précieuse. Si ces résultats se confirment, ils pourraient marquer une rupture dans la course entre médecine et micro-évolution bactérienne.

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Crédit : CDC/Melissa Dankel
Un nouvel antibiotique se révèle prometteur dans le traitement des infections dangereuses causées par le SARM et d’autres bactéries résistantes aux médicaments.

Un nouveau chapitre pour la chimie des antibiotiques

Les auteurs de l’étude, publiée dans le Journal of the American Chemical Society, estiment que cette molécule pourrait constituer la première représentante d’une nouvelle classe d’antibiotiques. Une classe inédite, issue non pas d’un programme de développement ciblé, mais de la compréhension fine du vivant — de la manière dont les micro-organismes conçoivent eux-mêmes des molécules défensives.

Le chimiste Stephen Cochrane, de l’Université Queen’s de Belfast, qui n’a pas participé aux travaux, souligne toutefois que le chemin reste long entre un composé actif en laboratoire et un médicament exploitable chez l’humain. Il faudra s’assurer que la molécule est stable dans l’organisme, non toxique, et qu’elle conserve son efficacité à long terme.

C’est précisément la direction que prend désormais l’équipe d’Alkhalaf et Challis. En collaboration avec le chimiste australien David Lupton, ils travaillent à une synthèse chimique complète du composé, sans passer par les micro-organismes producteurs. Cette étape leur permettra d’obtenir des quantités suffisantes pour étudier le mode d’action précis de la molécule et explorer des variantes potentiellement encore plus actives.


Si la découverte de la pénicilline fut un accident de moisissure, celle de la lactone de pré-méthylénomycine C est un accident de curiosité. En cherchant à comprendre, les chercheurs ont trouvé. Et peut-être, sans le savoir, ouvert une brèche dans le mur croissant de la résistance bactérienne — une brèche par laquelle pourrait bien passer l’un des futurs grands antibiotiques du siècle.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.