méthane navires
Crédits : Chris Linnett

Ils naviguent… et libèrent un gaz 28 fois plus nocif que le CO₂ sans le savoir

Et si, à chaque passage d’un navire, les océans relâchaient un puissant gaz à effet de serre dans l’atmosphère ? C’est ce que révèle une étude suédoise récente, qui met en lumière une source d’émissions de méthane totalement ignorée jusqu’ici. Longtemps associé à l’élevage ou à l’exploitation des énergies fossiles, le méthane — gaz à effet de serre redoutable — pourrait aussi être relâché en grande quantité par le simple brassage des eaux peu profondes par les navires. Une découverte qui remet en question l’évaluation environnementale du transport maritime mondial.

Une source de pollution découverte par hasard

Tout commence en 2011, lorsque des chercheurs de l’université de technologie Chalmers (Suède) analysent les panaches d’échappement de navires en baie de Neva, une zone peu profonde près de Saint-Pétersbourg. À leur grande surprise, ils détectent des niveaux anormalement élevés de méthane dans l’atmosphère — mais légèrement en décalage par rapport aux émissions liées à la combustion du carburant.

L’anomalie intrigue. Ce n’est qu’après plusieurs années de suivi et d’expérimentation qu’une explication inattendue émerge : les hélices des navires, en brassant l’eau, libèrent du méthane qui était jusqu’alors piégé dans les sédiments marins.

Mécanisme invisible, impact bien réel

Le phénomène est discret, mais ses conséquences pourraient être majeures. Dans les fonds marins peu profonds, riches en matières organiques et pauvres en oxygène, le méthane est naturellement produit par des bactéries. Ce gaz reste généralement piégé sous les sédiments ou dissous dans les couches d’eau proches du fond.

Mais lorsqu’un navire passe, la turbulence générée par ses hélices modifie brutalement la pression au fond de l’eau. Résultat : le méthane remonte, se mélange à l’eau de surface, puis finit par s’échapper dans l’atmosphère.Ils naviguent… et libèrent un gaz 28 fois plus nocif que le CO₂ sans le savoir

Selon l’étude parue en mai 2024 dans Nature Communications Earth & Environment, les pics de méthane relevés dans ces zones maritimes peuvent être jusqu’à 20 fois supérieurs à ceux enregistrés dans des zones non perturbées à proximité. En une seule journée, les émissions liées au passage des navires peuvent donc devenir significatives.

Une pollution largement sous-estimée

Le méthane est souvent éclipsé par le dioxyde de carbone dans les débats climatiques, mais ses effets sur le climat sont bien plus puissants à court terme. Sur une période de 100 ans, le méthane retient 28 fois plus de chaleur que le CO₂. Et sur 20 ans, ce pouvoir de réchauffement grimpe à plus de 80 fois celui du CO₂.

Or, les émissions maritimes de méthane dues à ce mécanisme étaient jusqu’ici totalement absentes des bilans environnementaux. Elles ne proviennent pas des moteurs ou des carburants, mais d’une interaction physique entre les navires et leur environnement. Cela signifie que l’industrie maritime pourrait avoir un impact climatique bien plus lourd que ce que les chiffres actuels laissent croire.

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Le passage d’un navire sur un sédiment riche en méthane provoque des changements de pression et un mélange turbulent de l’eau à différentes profondeurs, ce qui déclenche la libération de méthane. Crédits : Amanda Nylund

Quels navires sont les plus concernés ?

Tous les types de navires peuvent provoquer ce phénomène, mais certains sont plus polluants que d’autres. Les chercheurs de Chalmers ont constaté que les porte-conteneurs et navires de croisière généraient des émissions plus importantes que les vraquiers (navires transportant du vrac sec comme le charbon ou les céréales) de taille équivalente.

Cela s’expliquerait par des différences de conception : la forme de la coque, la puissance des moteurs, ou encore le type d’hélice jouent un rôle dans l’intensité du brassage des fonds marins.

Une menace mondiale invisible

Ce phénomène ne se limite pas à la baie de Neva. Neuf des dix plus grands ports du monde sont situés dans des zones peu profondes présentant des caractéristiques similaires. En clair : ce type d’émission pourrait se produire quotidiennement dans les principaux centres du commerce maritime international, sans que personne n’en ait réellement conscience.

Les chercheurs appellent donc à une surveillance renforcée et à une réévaluation urgente des modèles climatiques actuels. Car si ce phénomène est aussi répandu qu’il y paraît, les prévisions d’émissions de gaz à effet de serre du secteur maritime sont gravement sous-estimées.

Quelles solutions possibles ?

Pour l’instant, la marge de manœuvre reste limitée. Modifier les itinéraires pour éviter les zones sensibles pourrait être une piste, tout comme le développement de technologies de propulsion alternatives, moins perturbatrices pour les sédiments marins. Mais ces changements nécessitent des investissements lourds et une prise de conscience collective.

Comme le souligne Johan Mellqvist, professeur à l’université de Chalmers, « si nous ignorons l’ampleur des dégâts que nous causons, nous aurons énormément de mal à y remédier avant qu’il ne soit trop tard. »

Cette découverte met en lumière une nouvelle facette du changement climatique, plus discrète, mais tout aussi urgente. Elle rappelle une réalité brutale : nos activités humaines modifient profondément les équilibres naturels, parfois d’une manière totalement inattendue.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.