Pendant des décennies, l’hydrogène a été présenté comme le carburant du futur qui n’arrivait jamais. Trop cher à produire, impossible à stocker sans risque, nécessitant des infrastructures colossales. Mais une équipe de l’Université Brunel de Londres et l’entreprise Genuine H2 viennent de fracasser ces trois obstacles d’un seul coup. Leur technologie transforme l’eau de mer directement en hydrogène utilisable, le stocke dans un film plus fin qu’une feuille de papier, et promet de décarboner le transport maritime en quelques années. Si ça fonctionne à l’échelle annoncée, nous assistons peut-être à la naissance d’une véritable révolution énergétique.
Le cercle vicieux de l’hydrogène brisé
L’hydrogène possède tout pour être le carburant parfait. Sa combustion ne produit que de la vapeur d’eau. Pas de CO₂, pas de particules fines, pas de pollution. Sur le papier, c’est la solution idéale à la crise climatique. Sauf que dans la réalité, produire de l’hydrogène propre reste un cauchemar logistique et économique.
Le processus conventionnel exige de l’eau douce purifiée, une ressource déjà sous tension mondiale. Il faut ensuite dessaler l’eau de mer, un procédé énergivore et coûteux, avant même de commencer l’électrolyse. Puis vient le stockage : l’hydrogène gazeux doit être comprimé à des pressions extrêmes ou refroidi à moins 250 degrés Celsius dans des réservoirs massifs et dangereux.
Le projet GH2DEM pulvérise ces contraintes avec deux innovations qui semblent presque trop belles pour être vraies.
Des électrodes qui boivent directement la mer
La première percée réside dans des électrodes révolutionnaires capables de fractionner l’eau de mer sans traitement préalable. Plus besoin de dessalement coûteux, plus besoin d’usines de purification gigantesques. L’océan devient directement la pompe à carburant.
Le professeur Xinyan Wang, qui dirige le projet à Brunel, résume l’audace du concept avec une simplicité désarmante : « Nous prenons de l’eau de mer, la fractionnons grâce à de l’électricité renouvelable pour produire de l’hydrogène gazeux, le stockons à bord sous forme de solide moléculaire, puis le brûlons dans un moteur au lieu du diesel, sans CO₂. »
Cette approche élimine l’un des principaux goulets d’étranglement économiques de la production d’hydrogène. Mais c’est la seconde innovation qui change véritablement la donne en matière de sécurité et de praticité.

Un nano-film qui capture l’impossible
Stocker l’hydrogène a toujours été le talon d’Achille de cette technologie. Ce gaz est le plus léger et le plus volatile de l’univers. Ses molécules sont si petites qu’elles s’échappent à travers la plupart des matériaux. Les solutions actuelles impliquent soit une compression à 700 bars (l’équivalent de la pression à 7 kilomètres de profondeur sous l’océan), soit une liquéfaction à des températures arctiques.
Genuine H2 propose une alternative qui défie l’intuition : un nano-film plus fin qu’une feuille de papier qui retient l’hydrogène sous forme solide moléculaire. Pas de pression. Pas de congélation. Température ambiante. Le gaz reste piégé dans une structure stable, compact et sûr.
Si cette technologie tient ses promesses, elle résout du même coup le problème du transport et du stockage de longue durée. Un navire peut embarquer son carburant sans les réservoirs cryogéniques encombrants qui grignotent actuellement l’espace de chargement.
Au-delà du maritime, un système énergétique complet
Le projet a reçu 1,44 million de livres sterling du gouvernement britannique dans le cadre d’un programme de 30 millions consacré à la décarbonation du transport maritime. Le premier moteur à combustion à hydrogène haute performance sera installé sur le campus de Brunel et testé avec la chaîne complète : de l’eau de mer au stockage, puis à la propulsion.
L’ambition ne se limite pas aux océans. Genuine H2 vise tous les modes de transport : ferries côtiers, flottes de pêche, remorqueurs portuaires, mais aussi avions, trains, bus, camions et voitures. L’entreprise affirme que sa technologie est évolutive et peut être calibrée pour répondre à n’importe quel besoin énergétique.
Plus audacieux encore, le système pourrait alimenter des communautés isolées, des hôpitaux, des sites miniers, des fermes éloignées, voire des gratte-ciels entiers. L’idée est de créer un réseau décentralisé de stations de ravitaillement qui transforment localement l’eau disponible en énergie utilisable.
Un bilan carbone négatif qui intrigue
Genuine H2 va jusqu’à revendiquer un « bilan carbone négatif » pour ses unités d’électrolyse. Comment ? En extrayant le CO₂ dissous dans l’eau de mer pour le convertir en bicarbonates, composés stables qui peuvent être utilisés dans diverses applications industrielles ou simplement rejetés sans impact climatique.
Si cette affirmation se vérifie, le système ne se contente pas d’éviter les émissions : il nettoie activement l’océan d’une partie de son excès de dioxyde de carbone. Un double bénéfice qui, à grande échelle, pourrait contribuer à la lutte contre l’acidification marine.
La promesse et le scepticisme
Comme toute technologie révolutionnaire, ce projet suscite autant d’enthousiasme que de questions. Les performances annoncées devront être confirmées à l’échelle industrielle. Le coût de production par kilogramme d’hydrogène reste à démontrer. La durabilité du nano-film sur des années d’utilisation intensive doit être éprouvée.
Mais le fait que le gouvernement britannique ait investi dans le projet, que l’Université Brunel y consacre ses ressources, et que les premiers tests soient imminents suggère que nous ne sommes pas face à de la science-fiction spéculative. Nous assistons peut-être aux premiers tours de roue d’une transformation énergétique majeure.
Si un cargo peut vraiment faire le plein directement en mer, sans infrastructures lourdes, sans émissions, et avec un système de stockage compact, alors l’hydrogène cesse d’être le carburant perpétuellement « de demain » pour devenir celui d’aujourd’hui.
