L’Académie royale des sciences de Suède vient de couronner une révolution silencieuse qui se tramait depuis trois décennies dans les laboratoires de chimie. Le 8 octobre 2025, Susumu Kitagawa, Richard Robson et Omar M. Yaghi ont reçu le prix Nobel de chimie pour avoir inventé des matériaux capables de stocker l’impossible : des quantités massives de gaz dans des volumes ridiculement petits. Une prouesse qui évoque la magie, mais qui repose sur une ingénierie moléculaire d’une précision redoutable.
Une architecture moléculaire née d’une intuition audacieuse
Tout commence en 1989, lorsque Richard Robson décide d’explorer un territoire inexploré de la chimie. Son idée ? Assembler des atomes de cuivre chargés électriquement avec des molécules organiques à quatre branches pour créer une structure cristalline inédite. Le résultat dépasse ses espérances : un réseau tridimensionnel parsemé de cavités microscopiques, comparable à un diamant troué de milliers de compartiments invisibles à l’œil nu.
Cette première structure organométallique ouvre la voie à une nouvelle classe de matériaux. Entre 1992 et 2003, Omar M. Yaghi et Susumu Kitagawa perfectionnent l’invention. Ils démontrent que ces architectures peuvent non seulement piéger des molécules gazeuses, mais aussi les laisser circuler à travers leur réseau poreux. Plus remarquable encore, ils parviennent à stabiliser ces structures, à les rendre modulables et à leur conférer des propriétés sur mesure selon les besoins.
Le principe derrière la magie apparente
La comparaison avec le sac à main d’Hermione Granger n’est pas fortuite. Heiner Linke, président du comité Nobel de chimie, l’a lui-même évoquée lors de l’annonce du prix. Dans l’univers de Harry Potter, ce sac contient bien plus d’objets qu’il ne devrait physiquement pouvoir en accueillir. Les structures organométalliques réalisent un exploit similaire, sans toutefois violer les lois de la physique.
Le secret réside dans la porosité extrême de ces matériaux. Les ions métalliques et les molécules organiques s’organisent en réseaux cristallins dont la surface interne est colossale. Un seul gramme de ces composés peut présenter une superficie équivalente à plusieurs terrains de football, offrant d’innombrables sites d’ancrage pour les molécules gazeuses. Cette géométrie particulière permet de compresser des volumes considérables de gaz dans un espace minuscule.

Des applications qui changent déjà le monde
Depuis les travaux pionniers des trois lauréats, la communauté scientifique a développé des milliers de variantes de ces structures. Les applications concrètes se multiplient à une vitesse stupéfiante. Dans l’industrie des semi-conducteurs, elles capturent les gaz toxiques nécessaires à la fabrication des puces électroniques. Dans les régions arides, elles extraient l’eau de l’air ambiant du désert. En chimie verte, elles décomposent des polluants réputés indestructibles : les PFAS, ces plastiques éternels qui contaminent nos sols et nos nappes phréatiques, les résidus pharmaceutiques dans les eaux usées, et même les agents d’armes chimiques.
L’ambition climatique qui pourrait tout changer
Mais l’application la plus prometteuse de ces matériaux concerne notre avenir collectif. Les structures organométalliques sont actuellement testées pour capturer le dioxyde de carbone à la source, directement dans les cheminées des usines et des centrales électriques. Une technologie qui pourrait jouer un rôle déterminant dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Susumu Kitagawa l’a d’ailleurs exprimé avec clarté lors de la conférence de presse : son rêve ultime est de parvenir à séparer les composants de l’air – CO₂, oxygène, eau – pour les transformer en matériaux utiles grâce aux énergies renouvelables. Une vision qui transforme un gaz responsable du dérèglement climatique en ressource valorisable.
Doté d’une récompense de 1,2 million de dollars, ce 117ᵉ prix Nobel de chimie célèbre une découverte dont les ramifications pourraient redessiner notre rapport aux ressources, à l’énergie et à l’environnement. Une révolution qui tient dans des cavités invisibles.
