Avalé par une grenouille, ce coléoptère s’échappe par la « porte de derrière »

grenouille
Capture vidéo : Shinji Sugiura

En règle générale, un prédateur attrape une proie et la mange. Fin de l’histoire. Cependant, un petit coléoptère ne l’entend pas de cette oreille. Lorsqu’il est avalé vivant par une grenouille, cet insecte courageux peut en effet se faufiler dans l’intestin de l’amphibien et ressortir par son sphincter cloacal. Il est peu souillé, certes, mais toujours bien vivant. Et c’est ça le plus important.

Shinji Sugiura, biologiste à l’Université de Kobe au Japon, travaille sur les « capacités d’évasion » des insectes depuis plusieurs années. Il s’est récemment intéressé aux interactions entre la grenouille d’étang Pelophylax nigromaculatus et le petit coléoptère aquatique Regimbartia attenuata, après avoir pris conscience que ces deux animaux fréquentaient les mêmes rizières du Japon. Les détails de ses travaux ont été publiés dans la revue Current Biology.

Une résilience étonnante

Le chercheur a collecté plusieurs de ces spécimens pour les étudier en laboratoire. Il y a quelques années, il avait découvert que certains insectes pouvaient forcer des crapauds à vomir pour tenter de s’échapper après avoir été engloutis. Naturellement, dans le cadre de cette nouvelle étude, il s’attendait à profiter d’un comportement similaire.

Au lieu de cela, il s’est aperçu que l’insecte était ressorti par l’autre extrémité du tube digestif. Le chercheur a ensuite répété cette expérience avec cinq espèces de grenouilles mangeuses d’insectes. Étonnamment, il est ressorti que 93% des coléoptères avalés étaient ressortis vivants par le sphincter cloacal de leur assaillante, tous dans les six heures après avoir ingérés.

grenouille
Crédits : Université de Kobe

Habituellement, l’amphibien a besoin d’environ deux jours pour digérer et déféquer complètement son dîner.

« C’est un comportement étrangement merveilleux dont je n’avais jamais entendu parler auparavant« , s’étonne Carla Bardua, du Musée d’histoire naturelle de Londres, qui n’était pas impliquée dans l’étude. « Qu’un petit scarabée puisse nager activement dans un système digestif est étrange et incroyable« .

Ramper dans un environnement ultra-chimique

Le chercheur a également mené des expériences similaires avec d’autres espèces coléoptères, mais aucune d’entre elles ne s’en est aussi bien sortie que Regimbartia attenuata.

Comment s’y prennent-ils ? Difficile à dire sans regarder les insectes directement en action, ce que le chercheur n’a pu faire. En revanche, après avoir immobilisé les pattes de certains coléoptères avec de la cire, il s’est aperçu qu’aucun d’entre eux n’était ressorti vivant. Ainsi, dans leur stratégie d’évasion, il semblerait que ces insectes s’appuient activement sur leurs pattes. C’est un premier indice. Selon le Dr Sugiura, ils pourraient les utiliser pour ramper dans l’intestin.

Une telle traversée n’est probablement pas de tout repos. Comme le souligne Aurora Alvarez-Buylla, spécialiste des grenouilles à l’Université de Stanford, ces dernières avalent leur proie entière. Pour les digérer, elles doivent ainsi libérer des sucs incroyablement puissants. « Vous avez affaire à un environnement chimique et acide spécialement conçu pour décomposer la matière« , explique-t-elle.

Toujours est-il que Regimbartia attenuata semble s’en être accommodé. Une fois libérés, ces coléoptères ont en effet simplement continué leur route comme si rien ne s’était passé.

Leur exosquelette y est certainement pour quelque chose. En revanche, quelques voyages répétés dans l’oesophage d’une grenouille pourraient éventuellement avoir des conséquences plus néfastes d’après le Dr Sugiura. D’autres expériences seront nécessaires pour le confirmer.