Gertrude Bell (1868-1926) : tout savoir sur cette exploratrice

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Crédits : Churchill Book Collector

Durant sa vie, la Britannique Gertrude Bell a assuré des fonctions aussi diverses qu’archéologue, exploratrice, écrivaine, diplomate ou encore agent secret. Charismatique et parfois même controversée, Gertrude Bell a été au XXe siècle l’architecte en chef d’un nouvel état au Moyen-Orient : l’Irak.

Exploratrice et archéologue

Née en 1868 à Washington dans le comté de Durham (Royaume-Uni), Gertrude Bell est la petite-fille de Isaac Lowthian Bell, maître de forges et homme politique libéral. Tout d’abord, il faut savoir qu’elle a été la première femme à obtenir un diplôme en histoire moderne à la prestigieuse Université d’Oxford. La jeune femme se montrera curieuse de tout et jouira des moyens financiers de son grand-père fortuné afin d’effectuer de très nombreux voyages aux quatre coins du globe.

Entre 1886 et 1902, elle effectuera des passages dans des pays qu’elle désirait étudier tels que l’Allemagne, la France, l’Italie ou encore l’Empire ottoman. Elle effectuera deux tours du monde, séjournant durant des périodes plus ou moins longues dans des pays aussi variés que l’Inde, la Chine, les États-Unis, le Japon, le Canada, la Suisse ou encore la Corée du Sud. Passionnée par la photographie, mais également l’alpinisme, elle deviendra notamment la première Britannique ayant traversé la Meije (1899) et les Drus (en 1900) et gravira plusieurs fois le mont Blanc. Toutefois durant ces voyages de jeunesse, elle habitera à Jérusalem où elle apprendra l’arabe, mais aussi le persan, ce qui aura indéniablement des conséquences sur le reste de sa vie.

Avant tout, Gertrude Bell est historienne et archéologue. Elle retournera dans l’Empire ottoman en 1907 pour participer à des fouilles (Turquie et Syrie). Puis elle y reviendra en 1909 et s’installera à Babylone, actuelle Bagdad (Irak). Lors de plusieurs allers-retours pendant la Première Guerre mondiale, elle participera à des découvertes dans le palais de Nabuchodonosor II, roi de l’Empire néo-babylonien entre 605 et 562 av. J.-C. Elle découvrira également entre autres des sites tels que le palais abbasside d’Al-Ukhaidir (actuel Irak).

Pierre angulaire de la création de l’Irak

En 1915, Gertrude Bell intègre le Bureau arabe du Caire (Égypte britannique), l’agence britannique de renseignement sur le Moyen-Orient, où elle occupera la fonction d’officier de liaison. Deux années plus tard, elle suit les troupes britanniques traversant la Mésopotamie en direction de Bagdad afin de chasser l’armée ottomane. Propulsée « secrétaire orientale », un poste diplomatique important, elle assumera la mission de façonner les contours politiques et géographiques d’un futur état irakien sous mandat britannique. Elle convaincra les différents chefs de la région et Winston Churchill de placer Fayçal ben Hussein al-Hachimi à la tête de l’Irak. Leader des révoltes arabes, il deviendra Fayçal Ier, roi d’Irak de 1921 à 1933. Cette décision avait une portée géopolitique : elle devait censée permettre un meilleur contrôle de la zone par les autorités britanniques.

La monarchie irakienne sous mandat britannique débute en 1920 et perdurera jusqu’en 1958, année du coup d’État d’Abdul Karim Qasim, Premier ministre de la future république irakienne. En attendant, la mission de Gertrude Bell était complexe, car il s’agissait de faire naître un royaume sur la base de trois vilayets (divisions régionales) de l’Empire ottoman rassemblant des populations diverses. Fayçal Ier est musulman sunnite, et ce choix n’était pas un hasard. En effet, les chiites sont majoritaires dans la zone et à l’époque, on craint leur fanatisme. De plus, ils composaient depuis des années avec l’autorité d’un sultan ou d’un calife ottoman éloigné (à Constantinople) et se méfiaient de la création d’un nouveau pouvoir.

Gertrude Bell
Gertrude Bell a Babylone en 1909.
Crédits : Gertrude Bell Archive / Wikipedia

Des difficultés indéniables pour un échec

Pierre-Jean Luizard, historien français spécialiste de l’Irak, expliquera dans un article publié par le quotidien suisse Le Temps en 2016 que ce pays s’est construit contre sa propre société. Est-ce réellement la faute de Gertrude Bell ? Faut-il taxer cette dernière de colonialisme aggravé ? Apportons quelques nuances. Premièrement, l’intéressée appréciait et respectait grandement les peuples du désert et a réellement cherché à les comprendre. Or, cette approche évidemment teintée d’orientalisme était rare au sein de l’Empire britannique comme dans tous les autres empires coloniaux.

Le fait est que malgré son appartenance à la machine colonialiste, Gertrude Bell semblait dévouée à l’Irak. Elle y était d’ailleurs en permanence dans les années 1920 jusqu’à son décès et était devenue la confidente politique du roi irakien. Ayant reçu le titre officieux de « reine sans couronne », elle aura marqué d’une empreinte indélébile l’histoire de l’Irak, et ce, malgré une influence de moins en moins rayonnante à la cour et une fin malheureuse (overdose de médicaments) en 1926. Dans tous les cas, ce n’est pas un hasard si le Musée national d’Irak à Bagdad, dont elle a impulsé la création, a honoré sa mémoire avec un buste à son effigie. Ce buste fut d’ailleurs dérobé avant l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003.

Grande acuité politique et personnalité atypique

Son acuité politique était telle que Thomas Edward Lawrence (Lawrence d’Arabie), qu’elle appelait « mon petit », a pu jouer le rôle capital qui fut le sien dans les révoltes arabes contre la domination de l’Empire ottoman. Par ailleurs, elle critiquera vivement la déclaration Balfour de 1917 ayant ouvert la porte à un foyer juif en Palestine. Gertrude Bell craignait une grande hostilité de la part des peuples arabes de la région et un danger pour les minorités juives installées au Moyen-Orient. De plus, elle évaluera avec bien plus de précision que beaucoup d’autres officiels britanniques la montée en puissance d’Abdelaziz Ibn Saoud dans la proche Péninsule arabique. Celui-ci détrônera les Rashid et les Hachémites afin de devenir le premier roi de l’Arabie Saoudite moderne en 1932.

Issue de la haute bourgeoisie industrielle britannique, Gertrude Bell aurait pu se cantonner à son milieu familial et aux réceptions mondaines. Il n’en fut rien puisque sa soif de connaissance semblait sans limite, ignorant au passage les plafonds de verre que les femmes de son époque se voyaient imposer çà et là. Gertrude Bell semble avoir vécu la vie qu’elle souhaitait. Néanmoins, elle fut paradoxalement contre le droit de vote des femmes, tout en s’imposant dans un monde dominé par les hommes. Par ailleurs, elle s’attachait au développement d’institutions archéologiques arabes, mais était néanmoins favorable au « partage » des plus belles pièces avec les musées étrangers, principalement européens.

Aujourd’hui, le public redécouvre Gertrude Bell après un quasi-oubli de 80 ans depuis sa disparition. En 2015, l’actrice Nicole Kidman l’a par ailleurs incarnée dans Queen of the Desert, un film de Werner Herzog plusieurs fois nominé.