Bien qu’on lui prête des noms plus glamour tels qu’Arum titan, Amorphophallus titanum ou encore Phallus de titan, beaucoup font référence à ce végétal d’une beauté fascinante et à l’inflorescence haute en l’appelant la fleur cadavre à cause de son odeur répugnante d’oignons en décomposition et de viande pourrie qui lui sert à attirer des insectes pollinisateurs. Grâce à une plante surnommée Morphy nichée dans la serre de Darmouth (Angleterre), des chercheurs ont enfin réussi à percer tous les mystères de la senteur pestilentielle de cette plante rare, connue pour fleurir aussi au cœur du jardin botanique Jean-Marie Pelt à Nancy. Cette étude étonnante qui met en scène les sciences moléculaires figure dans la revue PNAS Nexus depuis septembre 2024.
Une fleur cadavre capricieuse nommée Morphy
Le titan arum est originaire des forêts tropicales de l’ouest de Sumatra, en Indonésie, et se distingue par une grande floraison unique composée d’un groupe de fleurs disposées autour d’une tige centrale, un spadice jaune qui peut atteindre jusqu’à 3,7 mètres, entouré d’un spathe externe en forme de feuille qui ressemble à un pétale. Cette plante fleurit de manière imprévisible tous les cinq à sept ans et soudainement, même parfois du jour au lendemain. La floraison dégage alors une odeur âcre de pourriture, ce qui attire les coléoptères charognards et les mouches qui la pollinisent.
Lorsque le spathe se déploie pour révéler le spadice à l’intérieur, il se réchauffe au passage jusqu’à environ onze degrés Celsius au-dessus de la température ambiante de l’environnement de la plante et commence à libérer un cocktail de produits chimiques, dont le trisulfure de diméthyle, le disulfure de diméthyle, la triméthylamine, l’acide isovalérique et l’indole qui sentent respectivement le fromage, l’ail, le poisson pourri, les chaussettes moites et les excréments. Miam…
Morphy est l’une de ces fleurs cadavres. Cet Amorphophallus titanum de vingt et un ans vit dans la Serre des Sciences de la Vie à Dartmouth. Peu de gens ont habituellement accès à ce type de plante, ce qui a permis à des botanistes de recueillir des échantillons chaque fois que Morphy était disposée à fleurir. « Les floraisons sont rares et aussi de courte durée, nous n’avons donc qu’une petite fenêtre pour étudier ces phénomènes », explique en effet le professeur de sciences biologiques G. Eric Schaller dans un communiqué. Heureusement, ils ont pu observer la floraison à plusieurs moments et étudier aussi une plantule clonée surnommée Morphy Jr.
Des échantillons à des moments clés

Ces plantes ont la curieuse habitude de se réchauffer juste avant de commencer à sentir mauvais. L’équipe a ainsi pu prélever neuf échantillons de tissus au moment où le spadice de Morphy était le plus chaud. Grâce à ces précieux échantillons, l’équipe a pu extraire de l’ARN de haute qualité des tissus de Morphy et réaliser des tests supplémentaires pour déterminer quels gènes étaient spécifiquement impliqués dans la génération d’odeur et la thermogenèse.
« Cela nous aide à voir quels gènes sont exprimés et à voir lesquels sont spécifiquement actifs lorsque l’appendice se réchauffe et émet une odeur », explique Schaller. Et selon leur nouvel article, les chercheurs ont maintenant compris au niveau moléculaire comment la fleur cadavre réchauffe sa température interne (un processus connu sous le nom de thermogenèse, le plus souvent associé aux animaux) juste avant de fleurir et pourquoi elle libère cette odeur caractéristique qui séduit irrésistiblement les insectes charognards.
Alors, d’où vient l’odeur ignoble de cette fleur ?
La production de chaleur chez les animaux est rendue possible par une classe de protéines appelées protéines découplantes qui permettent de libérer de l’énergie sous forme de chaleur. Leur équivalent végétal est connu sous le nom d’oxydases alternatives. Or, les analyses de l’ARN de Morphy ont révélé que leur expression augmentait au début de la floraison, de même que les gènes impliqués dans le transport et le métabolisme du soufre.
Ensuite, avec l’aide de collaborateurs de l’université du Missouri, les experts ont pu identifier les mécanismes déclenchés par ces gènes. Cela a impliqué de prélever plus d’échantillons lors d’une floraison ultérieure et de les analyser par spectrométrie de masse pour mesurer les niveaux d’acides aminés. Il s’est avéré qu’au moment de la floraison, il y avait beaucoup de méthionine, un acide aminé qui est le précurseur des composés à base de soufre produisant des odeurs horribles. Ce niveau diminuait ensuite quelques heures plus tard. Ils ont également trouvé un acide aminé précurseur de la putrescine, un composant clé de l’odeur de mort de la décomposition. « Notre étude met en lumière les changements dynamiques qui se produisent dans l’expression des gènes au cours de quelques jours seulement pendant la floraison du titan arum », écrivent les chercheurs.

C’est ainsi la première fois que la science explore l’explication moléculaire de la chaleur et de l’odeur produites par les fleurs. Toutefois, il reste encore beaucoup à découvrir sur ces plantes surprenantes. Par exemple, Schaller souhaite à présent les étudier pour découvrir si les fleurs cadavres proches les unes des autres pourraient synchroniser leur floraison pour optimiser leur attractivité auprès des organismes morbides curieux (et non, nous ne parlons pas des touristes, rassurez-vous).
Retrouvez l’étude dans la revue PNAS Nexus, sur ce lien et le communiqué de presse ici.
