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La fougère à cerf (Struthiopteris spicant) appartient à la famille des Blechnaceae, qui présente une étrange particularité évolutive. Crédits : Alan Rockefeller via iNaturalist

Ces fougères peuvent évoluer à l’envers

Nous avons souvent tendance à percevoir l’évolution comme un chemin à sens unique, une progression constante vers des formes de vie de plus en plus sophistiquées. Pourtant, la réalité est bien plus complexe. Les dernières recherches montrent en effet que certaines espèces ne suivent pas cette trajectoire linéaire et peuvent même revenir à des formes à première vue plus simples. Elles défient ainsi la loi de Dollo qui postule que l’évolution est irréversible. C’est notamment le cas de certaines fougères.

Les fougères : des plantes particulièrement adaptables

Les fougères sont une famille de plantes fascinante. Contrairement à la plupart des plantes modernes, elles ne possèdent ni graines, ni fleurs, ni fruits. Elles se reproduisent grâce à des spores, une stratégie qui remonte à des centaines de millions d’années. Ce mode de reproduction unique leur offre une flexibilité exceptionnelle.

Notez aussi que les fougères présentent deux grandes stratégies de reproduction :

  • Le dimorphisme où les plantes produisent deux types distincts de feuilles : certaines pour la photosynthèse, d’autres pour la dispersion des spores.
  • Le monomorphisme où une seule feuille remplit à la fois les fonctions de photosynthèse et de reproduction.

Selon la vision classique de l’évolution, une fois qu’une espèce a développé une adaptation aussi spécialisée que le dimorphisme, elle ne devrait pas pouvoir revenir à un état monomorphe plus simple. Et pour cause, en théorie, le passage au dimorphisme représente un progrès évolutif, car il optimise les fonctions reproductives et photosynthétiques. Pourtant, les chercheurs ont observé que certaines espèces étaient capables de faire exactement cela.

Une évolution à rebours chez les Blechnaceae

Dans le cadre d’une étude récente, Jacob Suissa, biologiste à l’Université du Tennessee, et Makaleh Smith, de la New School, ont examiné 118 espèces de fougères appartenant à la famille des Blechnaceae, une famille caractérisée par une grande diversité de stratégies de reproduction. Grâce à des collections d’histoire naturelle détaillées et à l’utilisation d’algorithmes évolutifs avancés (comme les méthodes bayésiennes et les arbres phylogénétiques calibrés), ils ont pu modéliser l’évolution des stratégies reproductives au fil du temps et reconstituer les transitions entre le dimorphisme et le monomorphisme. Leur analyse a finalement révélé que l’évolution chez les Blechnaceae ne suit pas une trajectoire linéaire et progressive.

Cette évolution rétrograde est rendue possible par une caractéristique unique des fougères : l’absence de structures rigides comme les graines. Dans le détail, contrairement aux plantes à fleurs où les graines et les organes reproducteurs sont fixes dans leur développement et leur position, les fougères produisent des sporanges directement sur leurs frondes. Ces sporanges, regroupés dans des structures appelées sorus, peuvent apparaître à différents endroits selon les besoins ou les conditions environnementales. Cette plasticité leur permet de modifier leur stratégie reproductrice de manière dynamique.

Les chercheurs suggèrent que des pressions environnementales spécifiques, comme des changements dans la disponibilité des ressources ou dans les conditions climatiques, peuvent favoriser ce retour au monomorphisme. Par exemple, dans des environnements pauvres en lumière ou en nutriments, maintenir une seule feuille polyvalente (monomorphe) pourrait être plus avantageux sur le plan énergétique que de produire deux types de feuilles distinctes.

Enfin, pour quantifier ces observations, les auteurs ont utilisé des outils de modélisation évolutive capables d’identifier des tendances dans les transitions de traits à travers des échelles géologiques. Leur analyse a révélé des périodes d’évolution rapide qui suggère que ces transitions entre dimorphisme et monomorphisme ne sont pas simplement le résultat d’une dérive génétique, mais probablement dues à des événements sélectifs marquants liés aux besoins adaptatifs immédiats.

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Un autre cas d’évolution rétrograde

Notez que les fougères ne sont pas les seules à défier les modèles classiques de l’évolution. Un autre exemple frappant est celui du lézard Liolaemus. Après avoir évolué vers la viviparité (mise au monde de petits vivants), certaines espèces de ce genre sont revenues à la ponte d’œufs. Ce retour à une stratégie plus ancienne montre que l’évolution peut parfois être dictée par des pressions environnementales ou biologiques spécifiques, plutôt que par une progression continue vers des formes de vie « supérieures ».

Une vision plus complexe de l’évolution

Cette évolution rétrograde remet donc en question la vision linéaire de l’évolution, souvent dictée par la loi de Dollo qui postule que les adaptations complexes sont irréversibles. En réalité, l’évolution n’a pas de ligne d’arrivée ni de but final. Les trajectoires évolutives ressemblent davantage à un réseau enchevêtré qu’à une ligne droite : certaines branches divergent, d’autres convergent et certaines se referment sur elles-mêmes.

En d’autres termes, au lieu de s’imaginer l’évolution comme un escalier montant vers une perfection biologique, il est plus juste de la visualiser comme un arbre complexe où chaque branche peut suivre des directions imprévisibles. Dans certains cas, deux branches qui semblent distinctes peuvent se rapprocher ou fusionner, ce qui illustre alors des phénomènes comme la convergence évolutive. À l’inverse, une branche peut s’enrouler sur elle-même pour revenir à des caractéristiques précédemment abandonnées, comme on le voit dans l’évolution rétrograde. Cette nature entrelacée des trajectoires évolutives reflète la diversité des pressions environnementales, des mutations aléatoires et des opportunités écologiques rencontrées par les espèces.

Cette compréhension plus nuancée de l’évolution pourrait avoir des implications importantes. Par exemple, elle pourrait nous aider à mieux comprendre comment les espèces s’adaptent aux changements environnementaux rapides.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.