Fossiles : un crustacé mangé par une bélemnite croquée par un requin

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Crédits : Klug et al., Swiss J Palaeontol., 2021

Imaginez la scène : il y a environ 180 millions d’années, une créature ressemblant à un calmar se jette sur un crustacé semblable à un homard. Au moment où elle commence à s’occuper de sa proie, un deuxième prédateur, probablement un requin, se jette à son tour sur le céphalopode pour le croquer. Les preuves de ce « ménage à trois » ont été retrouvées en Allemagne.

Les anciennes relations prédateurs-proies peuvent être déduites indirectement par la présence de fossiles découverts dans les mêmes zones, mais il arrive parfois que les paléontologues tombent sur des preuves plus directes.

En 2018, par exemple, une équipe de l’Université de Californie du Sud (USC, États-Unis) avait analysé la trace d’une dent de requin coincée dans une vertèbre d’un ptéranodon retrouvé dans la région de Smoky Hill Chalk au Kansas. On imaginait alors cet énorme ptérosaure, il y a 80 millions d’années, planer près de la surface de l’eau avant se faire surprendre par le prédateur surgissant des profondeurs.

Plus récemment, des paléontologues ont isolé un nouvel exemple d’anciennes relations prédateurs-proies dans une carrière allemande.

Ménage à trois mortel

Les chercheurs ont en effet découvert un fossile de bélemnite (ancien céphalopode marin) vieux d’environ 180 millions d’années accompagné des restes d’un crustacé semblable à un homard. Selon eux, les deux créatures sont probablement mortes ensemble avant de couler au fond de l’eau (moins de charognards et des courants plus faibles facilitent le processus de fossilisation). La question est : pourquoi ?

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Les restes de la bélemnite et de sa proie conservés. Les parties les plus molles de la bélemnite ont disparu. Crédits : Klug et coll., Swiss J Palaeontol., 2021

Après analyses de ces fossiles, il en est ressorti que la bélemnite avait elle aussi été victime d’une attaque. Au moment où le céphalopode allait entamer sa proie, un prédateur beaucoup plus gros a visiblement fait irruption, avant d’arracher un morceau de son corps mou et de s’enfuir. Pourquoi s’en aller aussi vite ? Probablement parce que les céphalopodes ont des rostres coriaces, des becs durs, pointus et difficiles à digérer.

Il y a quelques années, l’analyse d’un ancien requin du jurassique, lui aussi découvert en Allemagne, avait en effet isolé tout un tas de becs de bélemnite dans son estomac susceptibles d’avoir entraîné sa mort (le diagramme ci-dessous montre le blocage créé dans l’estomac).

Après quelques expériences inconfortables, les auteurs suggèrent que les anciens prédateurs du Jurassique ont appris à ne s’attaquer qu’aux parties molles de ces créatures.

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Crédits : Klug et al., Swiss J Palaeontol., 2021

Probablement un requin

Une autre question se pose également : qui était ce redoutable prédateur ? D’après les paléontologues, ce n’était probablement pas un ichtyosaure. Même si des fossiles de ces reptiles marins éteints suggèrent qu’ils s’attaquaient régulièrement aux bélemnites, le contenu de leur estomac ne montre aucune de ces structures dures.

Les estomacs fossilisés d’anciens crocodiles marins suggèrent quant à eux que ces créatures engloutissaient toute leur proie. Pour le cas qui nous intéresse, là encore, ça ne colle pas. En réalité, les chercheurs pencheraient plutôt vers un requin du Jurassique précoce nommé Hybodus hauffianus. À cette époque, ces poissons pouvant mesurer jusqu’à deux mètres de long évoluaient dans les mers peu profondes du monde entier.

Une possible scène impliquant les trois créatures est illustrée ci-dessous.

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Le requin s’attaque à la bélemnite, elle-même s’occupant de sa proie. Crédits : Klug et coll., Swiss J Palaeontol., 2021

Les détails de l’étude sont publiés dans le Swiss Journal of Palaeontology.