Le stéréotype selon lequel les femmes parleraient beaucoup plus que les hommes est largement répandu à travers le monde. Depuis des décennies, des clichés culturels et populaires véhiculent l’idée que les femmes seraient plus enclines à la conversation, tandis que les hommes seraient plus taciturnes. Mais qu’en dit la science ? En 2007, une étude menée par des chercheurs de l’Université d’Arizona avait bouleversé cette croyance en révélant que les hommes et les femmes prononcent en moyenne autant de mots par jour. Toutefois, une nouvelle recherche vient nuancer ces conclusions : si les différences ne sont pas aussi marquées qu’on l’imagine, elles existent bel et bien… mais seulement à certains moments de la vie.
Une première étude qui casse un mythe
En 2007, le psychologue Matthias Mehl avait cherché à tester empiriquement l’idée selon laquelle les femmes seraient plus bavardes que les hommes. Pour ce faire, il a demandé à 500 participants hommes et femmes de porter un petit dispositif appelé EAR (Enregistreur à Activation Électronique) qui s’activait à intervalles aléatoires tout au long de la journée pour capturer des extraits de conversations.
Grâce à ces enregistrements, Mehl et son équipe avaient pu estimer le nombre de mots prononcés chaque jour par chaque participant. Contre toute attente, l’analyse des données a révélé une moyenne d’environ 16 000 mots par jour aussi bien chez les femmes que chez les hommes. Cette découverte, publiée dans la prestigieuse revue Science, avait rapidement fait le tour des médias, remettant en cause un stéréotype profondément ancré dans la société.
Cependant, malgré l’ampleur de cette étude, certaines critiques ont émergé. L’échantillon était en effet relativement restreint et peu diversifié, composé principalement d’étudiants qui vivaient à Austin, au Texas. Pour confirmer ou nuancer ces résultats, une nouvelle étude plus vaste et plus représentative a été lancée.
Une nouvelle étude, des nuances importantes
Dix-huit ans plus tard, Mehl et d’autres chercheurs de l’Université de l’Alberta ont décidé d’examiner cette question sous un prisme plus large. Leur nouvelle étude, publiée dans le Journal of Personality and Social Psychology, s’appuie sur vingt-deux études distinctes menées dans quatre pays qui impliquait 2 197 participants âgés de 10 à 94 ans.
Au total, 630 000 enregistrements audio ont été analysés. Cette fois-ci, les résultats révèlent une différence significative entre les sexes… mais uniquement pour une tranche d’âge précise : les adultes entre 25 et 65 ans. En effet, les données montrent que les femmes de cette tranche d’âge prononcent en moyenne 3 000 mots de plus par jour que les hommes (21 845 mots contre 18 570 mots). En revanche, aucune différence notable n’a été observée chez les adolescents (10-17 ans), les jeunes adultes (18-24 ans) et les seniors (65 ans et plus).
Pourquoi cette différence chez les adultes ?
Les chercheurs n’ont pas trouvé de lien direct avec des facteurs biologiques, comme les hormones, qui auraient dû se manifester dès l’adolescence si elles étaient en cause. De même, un changement progressif lié à l’évolution des normes sociales aurait dû affecter toutes les générations, ce qui n’est pas le cas.
L’explication la plus probable repose donc sur les rôles sociaux et familiaux. La tranche d’âge concernée correspond à une période où les responsabilités parentales sont les plus intenses et où les femmes, encore souvent principales responsables de l’éducation des enfants, communiquent davantage au sein du foyer. Cette hypothèse est appuyée par plusieurs études montrant que les mères parlent plus souvent aux enfants que les pères, ce qui pourrait expliquer pourquoi les femmes de cette catégorie d’âge utilisent plus de mots au quotidien.

Un phénomène plus large : nous parlons de moins en moins
Un autre résultat marquant de l’étude concerne l’évolution du nombre moyen de mots prononcés par jour au fil des ans. Les chercheurs ont en effet constaté qu’entre 2005 et 2018, la quantité de mots utilisés quotidiennement a diminué d’environ 3 000 mots, passant de 16 000 à 13 000 en moyenne.
Pourquoi parlons-nous moins ? L’une des explications avancées est l’essor des technologies numériques, notamment les SMS, les messageries instantanées et les réseaux sociaux. Ces nouveaux modes de communication favorisent des échanges plus courts, écrits plutôt qu’oraux et pourraient contribuer à cette baisse.
Moins de paroles, un impact sur la santé ?
Si parler moins peut sembler anodin, certaines recherches suggèrent que le niveau de socialisation et d’échange verbal joue un rôle clé dans le bien-être mental et physique. Pour mieux comprendre ces effets, Mehl et son équipe développent actuellement un dispositif appelé SocialBit, un outil similaire à un bracelet connecté capable de mesurer le temps quotidien passé en conversation sans enregistrer le contenu des discussions.
Selon les chercheurs, cette innovation pourrait permettre de mieux comprendre l’impact de la communication sur la santé, au même titre que le sommeil ou l’exercice physique. Certaines études montrent en effet que les interactions sociales régulières sont associées à une meilleure santé mentale et cognitive, notamment chez les personnes âgées.