Tibet Népal femme
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L’évolution à l’œuvre en temps réel au Tibet ou comment les femmes ont dû s’adapter au manque d’oxygène

L’évolution est un processus constant. Ainsi, les humains sont actuellement encore en train de changer pour s’habituer aux différents environnements qu’ils habitent et faire face aux défis environnementaux que ces lieux imposent. Certains des meilleurs endroits pour observer ce phénomène se trouvent donc souvent dans les lieux les plus hostiles. Par exemple, en très haute altitude, chaque bouffée d’air ne satisfait pas tout à fait les besoins de notre corps. Pourtant, au Tibet, les femmes qui résident sur le haut plateau avec son faible taux d’oxygène survivent et prospèrent depuis plus de 10 000 ans… mais comment ? Une équipe de l’Université de Case Western Reserve (Cleveland, Ohio, États-Unis) a cherché à percer ce mystère et à découvrir comment l’adaptabilité physiologique de ces femmes leur permet de se reproduire efficacement dans un environnement pauvre en oxygène.

S’adapter à la vie en altitude (Tibet, etc.) : un peu de contexte

Étudier comment la sélection naturelle affecte les traits adaptatifs nécessite de combiner des données sur la génétique, la physiologie, les facteurs socioculturels et l’histoire reproductive. Pour cette raison, les communautés humaines exposées à un stress sur de longues périodes, comme celles qui vivent dans des conditions hypoxiques à haute altitude (avec un manque d’oxygène), sont idéales pour les chercheurs.

Or, les Tibétains sont exposés aux conditions de haute altitude depuis des millénaires et possèdent des caractéristiques biologiques distinctives liées à la distribution de l’oxygène qui les aident à s’adapter à cette hypoxie au quotidien. On peut ici citer de faibles concentrations d’hémoglobine, une ventilation élevée, un flux sanguin élevé et une faible pression dans les artères pulmonaires, ce qui les distingue d’autres groupes vivant également en haute altitude comme les Andins.

La reproduction en altitude : le cas étonnant du Tibet

Alors que les grossesses dans les régions d’altitude sont associées à des risques accrus de faible poids à la naissance et de prééclampsie, ce qui augmente au passage la mortalité infantile et maternelle, ce n’est absolument pas le cas parmi les femmes au Tibet qui semblent avoir des grossesses plus réussies. Dans cette nouvelle étude publiée dans le journal PNAS, les chercheurs révèlent comment des traits génétiques et cardiovasculaires spécifiques donnent à ces femmes un avantage pour survivre et prospérer à haute altitude.

Cynthia Beall, auteure principale de ces recherches et professeure à l’université américaine, affirme que ces découvertes pourraient non seulement mettre en lumière la résilience impressionnante des Tibétaines, mais aussi offrir des informations précieuses sur la manière dont les humains pourraient s’adapter dans des environnements extrêmes. Ces données pourraient ensuite potentiellement guider la science pour répondre aux défis environnementaux futurs et éclairer la pathobiologie des personnes souffrant de maladies liées à l’hypoxie à toutes les altitudes. « Comprendre comment des populations comme celles-ci s’adaptent nous donne une meilleure compréhension des processus de l’évolution humaine », ajoute également Beall.

Dolpo, Népal occidental, Tibet. Femmes et leurs enfants
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Le cas des femmes au Tibet

Les femmes tibétaines ont souvent des bébés plus lourds et montrent des niveaux plus élevés de saturation en oxygène, une concentration plus faible en hémoglobine et une meilleure circulation utérine par rapport aux migrants vers les régions de haute altitude. Ces traits sont associés à plus de naissances vivantes, ce qui suggère que la sélection naturelle agit sur la distribution de l’oxygène. Plusieurs gènes montrent des signes de sélection chez les Tibétains et sont essentiels à la réponse du corps à l’hypoxie.

Pour en savoir plus à ce sujet, les chercheurs ont examiné plus en détail comment les caractéristiques cardiovasculaires, hématologiques et respiratoires chez 417 Tibétaines âgées de 46 à 86 ans étaient associées à leur succès reproductif, mesuré ici par le nombre de naissances vivantes qu’elles ont eues. Ils ont également évalué les mécanismes génétiques sous-jacents à ces caractéristiques. La population étudiée était plus précisément composée de femmes ethniquement tibétaines, citoyennes népalaises, qui vivaient dans des villages situés entre 3 500 et 4 100 mètres d’altitude au Tibet. Cette recherche n’incluait par ailleurs que celles qui avaient été mariées ou enceintes et avaient vécu toute leur vie dans le district de l’Upper Mustang.

Des résultats très parlants

Les 417 femmes ont déclaré 2 193 grossesses qui ont donné lieu à 2 076 naissances vivantes, 46 mort-nés et 71 fausses couches. Elles avaient en moyenne 5,3 grossesses et 5,2 naissances vivantes avec un nombre allant de 0 à 14 naissances vivantes. En collaboration avec des infirmières et des assistantes de recherche tibétaines ethniques du Népal, l’équipe basée aux États-Unis a recueilli des informations sur la physiologie des femmes, leur histoire reproductive, divers facteurs sociaux et a également prélevé des échantillons d’ADN. L’objectif était d’explorer comment les traits de distribution de l’oxygène impactaient le nombre de naissances vivantes chez ces mères.

Les résultats ont montré que les femmes ayant eu le plus d’enfants possédaient des traits sanguins et cardiaques uniques pour délivrer de l’oxygène. Bien qu’elles aient des niveaux d’hémoglobine (la protéine dans les globules rouges qui transporte l’oxygène) proches de la moyenne de l’échantillon, leur saturation en oxygène était plus élevée. Cela signifie que leur sang est plus efficace pour acheminer l’oxygène vers leurs cellules sans pour autant subir d’épaississement, ce qui aurait pu imposer une plus grande charge de travail au cœur.

L’analyse génétique a par ailleurs révélé que ce trait provenait probablement des Dénisoviens qui vivaient en Sibérie il y a environ 50 000 ans. Ce trait est par ailleurs une variation du gène EPAS1 qui est unique à ces personnes et qui régule les concentrations d’hémoglobine. Les chercheurs ont également découvert que ces femmes possédaient d’autres traits qui améliorent le flux sanguin vers les poumons et élargissent les ventricules cardiaques.

femme et enfant Tibet Inde
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La sélection naturelle dans toute sa splendeur

Les femmes qui donnent naissance à des bébés vivants transmettent ici ensuite leurs traits à la génération suivante. Or, les traits qui maximisent le succès d’un individu dans un environnement donné se retrouvent le plus souvent chez les femmes capables de survivre aux stress de la grossesse et de l’accouchement. Ces femmes sont ensuite plus susceptibles d’avoir davantage de bébés et ces mêmes nourrissons (qui ont hérité des traits de survivabilité de leurs mères) sont également plus susceptibles de survivre jusqu’à l’âge adulte et de transmettre ces traits à la génération suivante. C’est la sélection naturelle en action.

Dans l’ensemble, des systèmes efficaces de transport de l’oxygène sont essentiels au succès reproductif et à la survie dans les régions de haute altitude, et cette recherche offre un aperçu fascinant de l’adaptation humaine à l’hypoxie et de la sélection naturelle. Cette étude, disponible ici, met également en lumière l’interaction complexe entre la génétique, la physiologie et l’adaptation environnementale, démontrant au passage que maintenir une distribution efficace de l’oxygène est un défi multifactoriel influencé par une large gamme de traits cardiovasculaires.

Cette étude ne se limite pas à l’exploration des capacités d’adaptation humaine, elle ouvre également des perspectives pour l’avenir. En effet, les connaissances tirées des adaptations des Tibétains pourraient avoir des applications pratiques dans les domaines de la médecine et de la biotechnologie. Par exemple, elles pourraient inspirer le développement de traitements pour des maladies liées à l’hypoxie, comme certaines pathologies pulmonaires ou cardiovasculaires. De plus, dans un contexte où le changement climatique et l’exploration spatiale poussent l’humanité à envisager des environnements toujours plus extrêmes, ces découvertes pourraient servir de base pour concevoir des stratégies d’adaptation pour les générations futures.

Julie Durand

Rédigé par Julie Durand

Autrefois enseignante, j'aime toujours autant partager mes connaissances et mes passions avec les autres. Je suis notamment passionnée par la nature et les technologies, mais aussi intriguée par les mystères nichés dans notre Univers. Ce sont donc des thèmes que j'ai plaisir à explorer sur Sciencepost à travers les articles que je rédige, mais aussi ceux que je corrige.