Une découverte récente repousse les frontières de notre compréhension de l’évolution de la vie complexe sur Terre. D’après ces travaux, de petites créatures multicellulaires auraient émergé 1,5 milliard d’années plus tôt qu’on ne le pensait auparavant. Cette annonce, qui ne convainc pas tout le monde, soulève des questions sur les conditions environnementales ayant pu favoriser cette avancée biologique.
L’évolution de la vie multicellulaire : les hypothèses traditionnelles
L’évolution de la vie multicellulaire (ou complexe) est l’un des jalons les plus fascinants de l’histoire biologique de la Terre. La vie sur notre planète aurait débuté il y a environ 3,5 à 4 milliards d’années avec des formes de vie unicellulaires simples, comme les bactéries, qui ont dominé pendant une grande partie de cette histoire ancienne. Ces premiers organismes, trouvés dans des gisements fossiles du Groenland, du Canada et d’Australie, ont évolué dans des environnements souvent hostiles, marqués par des conditions géologiques et atmosphériques changeantes.
Selon les hypothèses traditionnelles, la transition vers la vie multicellulaire se serait ensuite produite il y a environ 635 millions d’années, à la fin de la période appelée Cryogénien, marquée par les glaciations globales appelées Terre boule de neige. Durant cette période, des augmentations significatives des niveaux d’oxygène atmosphérique et marin auraient permis aux organismes de développer des tissus différenciés, ce qui aurait alors facilité la coopération cellulaire nécessaire pour former des structures complexes comme les plantes, les animaux et les champignons. Ces premiers organismes multicellulaires auraient finalement ouvert la voie à l’explosion cambrienne, il y a environ 541 millions d’années, une période au cours de laquelle une diversification massive de la vie animale a eu lieu.
Jusqu’à récemment, ces hypothèses ont donc dominé notre compréhension de l’évolution complexe de la vie. Cependant, des découvertes récentes remettent en question cette chronologie établie.
Les conditions volcaniques : un berceau pour la vie complexe ?
Il y a environ 2,1 milliards d’années, le bassin de Francevillien, situé dans ce qui est aujourd’hui le Gabon, a connu une période d’activité volcanique sous-marine intense qui pourrait avoir été cruciale pour l’émergence de la vie complexe. Cette activité volcanique aurait considérablement augmenté les niveaux de phosphore et d’oxygène dans l’océan, créant un environnement propice au développement de formes de vie plus complexes que les micro-organismes simples qui prévalaient à l’époque.
C’est en tout cas l’idée soulevée par l’équipe du Dr Ernest Chi Fru, de l’Université de Cardiff, qui s’appuie sur la découverte en 2010 de structures microscopiques ressemblant à des formes de vie plus complexes que les simples micro-organismes connus de l’époque.
Dans le détail, les chercheurs mettent en lumière que cette période volcanique était liée à la collision entre deux anciens cratons, ceux du Congo et de São Francisco. Cette collision aurait généré une activité volcanique significative, et formé une mer intérieure peu profonde et isolée du reste de l’océan mondial. Ce bassin isolé riche en nutriments aurait alors favorisé la prolifération de bactéries et constitué un terreau fertile pour l’émergence de formes de vie plus élaborées.
Notez que d’après l’étude, cette mer intérieure riche en phosphore et en oxygène aurait permis le développement de ce que l’on pourrait considérer comme une première tentative de vie complexe. Cependant, ces conditions favorables étaient limitées à cette région spécifique, et la vie complexe n’a pas pu se propager au-delà de cette mer isolée. Il aurait donc fallu attendre environ 1,5 milliard d’années supplémentaires pour que des conditions similaires à une échelle plus globale permettent l’émergence et la diversification de la vie complexe à l’échelle planétaire.

Un débat ouvert
Malgré ces nouvelles perspectives, la communauté scientifique reste divisée quant à l’interprétation de ces données. Les fossiles du bassin de Francevillien, initialement découverts en 2010, ont en effet déjà été au cœur de controverses concernant leur nature et leur signification. Alors que l’étude actuelle renforce l’hypothèse d’une vie complexe il y a 2,1 milliards d’années, certains chercheurs appellent à la prudence.
Graham Shields, professeur de géologie à l’University College de Londres, exprime notamment ses réserves et affirme que si des niveaux accrus de nutriments à cette époque sont plausibles, la preuve qu’ils ont mené à une diversification en formes de vie complexes reste à démontrer. Elias Rugen, doctorant à l’University College de Londres, partage cette prudence, mais reconnaît la possibilité théorique d’une vie complexe à cette époque. Tous deux soulignent la nécessité d’obtenir des preuves supplémentaires pour confirmer ces découvertes révolutionnaires.
En fin de compte, bien que cette nouvelle étude apporte un éclairage inédit sur l’évolution de la vie sur Terre, elle suscite également un débat scientifique actuellement.