Europe : les sécheresses récentes sont inédites au regard des derniers siècles

Crédits : Mandy B. Freund & coll. 2023.

De nouveaux travaux retranscrivent l’évolution des conditions hydriques d’été à l’échelle de l’Europe, et ce depuis le dix-septième siècle. Cette reconstitution d’une précision inégalée montre notamment que les sécheresses observées depuis 2015 sont d’une ampleur inédite depuis au moins quatre siècles. Les résultats ont été publiés dans la revue Communications Earth & Environment le 8 février dernier.

Ces dernières années, l’Europe a connu des étés caractérisés par une chaleur et une sécheresse exceptionnelles. Aussi, depuis 2015, la saison chaude semble avoir basculé vers un mode plus caractéristique des latitudes subtropicales que des latitudes tempérées. Dans une nouvelle étude, des chercheurs se sont concentrés sur l’épisode de sécheresse pluriannuelle de 2015 à 2018 qui a notamment touché l’Europe de l’Ouest et l’Europe Centrale.

Une reconstruction paléoclimatique sans précédent

Après avoir reconstitué les anomalies hydriques d’été jusqu’au dix-septième siècle, les scientifiques ont constaté que la sécheresse de 2015 à 2018 était la plus intense de tout l’enregistrement. Cette reconstitution est la première à fournir une image spatiale à haute résolution de l’hydroclimat européen à une échelle multiséculaire. Surtout, elle permet de replacer les anomalies récentes dans un contexte plus large.

« Notre étude indique que l’épisode de sécheresses estivales de 2015-2018 était, dans son intensité, très inhabituel dans le contexte pluriséculaire et sans précédent pour de larges parties de l’Europe centrale et occidentale », relate Mandy Freund, auteure principale de l’étude. « Cela suggère que les sécheresses estivales européennes de ces dernières années sont potentiellement influencées par le réchauffement climatique anthropique ».

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Seul l’encart (a) est ici discuté. Il montre les anomalies de précipitations d’été à l’échelle de l’Europe entre 1600 et 2018. La courbe noire est un lissage des données sur treize ans. Crédits : Mandy B. Freund & coll. 2023.

Pour arriver à ces résultats, les chercheurs se sont basé sur 26 sites forestiers multiséculaires répartis à travers le Vieux Continent. En analysant les isotopes stables de l’oxygène (O16/O18) et du carbone (C12/C13) contenus dans la cellulose du bois, les scientifiques ont pu remonter aux anomalies d’humidité et de sécheresse estivales pour chaque année et avec une résolution spatiale jusqu’alors inégalée.

« Les données isotopiques des anneaux de croissance des arbres sont des marqueurs très sensibles aux conditions d’humidité estivale. Ils sont largement indépendants de l’espèce, de l’âge et de l’emplacement de l’arbre », détaille l’auteure principale. « En tant que tels, les isotopes des cernes diffèrent des paramètres dendrochronologiques plus classiques que sont la largeur des cernes et la densité du bois ».

Des épisodes de grandes sécheresses se sont également produits par le passé

Les données montrent par ailleurs que d’intenses épisodes de sécheresses pluriannuelles se sont produits par le passé, en particulier entre 1645 et 1715, pendant le minimum de Maunder, une période d’activité solaire exceptionnellement basse et concomitante du petit âge glaciaire. « Les reconstitutions à haute résolution de la variabilité hydroclimatique basées sur les isotopes des cernes d’arbres ne sont pas nouvelles, mais il s’agit de la première approche visant à établir une reconstruction du champ climatique couvrant l’ensemble du continent européen », relate Gerhard Schleser, coauteur du papier.

La série prolonge ainsi vers le passé la vision que les climatologues ont acquise depuis une centaine d’années grâce aux stations météorologiques et depuis quelques dizaines d’années grâce aux capteurs satellitaires. « Ces méthodes sont uniques en termes de couverture spatiale, mais il leur manque ce que l’analyse des cernes des arbres peut fournir : des informations à long terme qui sont cruciales pour améliorer notre compréhension du changement climatique et des impacts locaux et régionaux correspondants sur l’habitat humain », souligne Gerhard Helle, coauteur de l’étude.