Étudier les ‘saveurs’ d’El Niño pour déchiffrer le passé et anticiper l’avenir

El Nino La Nina
Credits : Institute for Basic Science.

Reconstituer l’évolution du phénomène El Niño depuis la sortie du dernier âge glaciaire est une tâche ardue puisque les archives paléoclimatiques révèlent des évolutions contrastées. Une étude a désormais fait la lumière sur ces contradictions apparentes, ce qui devrait permettre de mieux anticiper l’évolution du phénomène dans le cadre du réchauffement en cours. Les résultats ont été publiés dans la revue Nature Communications ce 25 novembre.

Se tourner vers le passé pour anticiper l’avenir, c’est la stratégie adoptée par deux chercheurs de l’Université d’Hawaï à Mānoa et de l’Université du Colorado à Boulder (États-Unis). Si l’objectif premier est de comprendre comment El Niño a évolué dans le passé, les données serviront aussi à mieux anticiper sa réponse au réchauffement futur. Rappelons qu’El Niño se manifeste par un réchauffement des eaux dans le Pacifique équatorial et qu’il s’accompagne de multiples impacts socio-économiques, par exemple sur les secteurs de la pêche et de l’agriculture, eu égard à son influence sur le cycle de l’eau et les courants marins.

Grâce à un ensemble d’enregistrements paléoclimatiques et de modélisations numériques, les chercheurs ont pu reconstituer l’évolution du phénomène sur les 12 000 dernières années. Cette période qui correspond à l’interglaciaire actuel (l’Holocène) dévoile les différentes formes que peut prendre El Niño et la façon dont elles se sont succédées au fil des siècles. Ces saveurs, pour reprendre le terme employé par les scientifiques, se différencient par la zone où se situent les anomalies chaudes les plus importantes.

Les différentes saveurs d’El Niño

À certaines périodes, El Niño se caractérise par un pic de réchauffement au centre du Pacifique équatorial, et à d’autres par un pic à l’est du Pacifique, voire le long des marges côtières d’Amérique du Sud. Cette variabilité a conduit à des incohérences entre les différentes reconstitutions paléoclimatiques car les proxys ne restituent pas le même comportement selon le lieu où ils se situent. « Les proxys du Pacifique oriental montrent une intensification d’El Niño du début à la fin de l’Holocène, alors que les proxys du Pacifique central montrent un El Niño très variable tout au long de l’Holocène », rapporte Christina Karamperidou, auteure principale de l’étude.

El Niño
Les trois structures, ou saveurs, préférentielles d’El Niño depuis au moins 12 000 ans. (a) Mode est-Pacifique, (b) mode centre-Pacifique, (c) mode côtier. Les couleurs indiquent les anomalies de température de surface de la mer en °C et les contours, les anomalies de précipitations en millimètres par jour. Crédits : Christina Karamperidou & Pedro N. DiNezio, 2022.

Jusqu’à présent, ces contradictions avaient entravé la compréhension des scientifiques sur la façon dont le phénomène pouvait réagir au changement climatique d’origine humaine. Grâce aux efforts indéfectibles des chercheurs, ces incohérences (apparentes) sont désormais élucidées.

Résolution d’une contradiction apparente

En considérant les multiples structures que peut adopter El Niño, les chercheurs ont pu élaborer la première base de données cohérente et unifiée du phénomène au cours de l’Holocène. Elle permet notamment de voir comment la fréquence des différentes structures a évolué au fil des siècles et des millénaires. « Nous avons montré que les événements est-Pacifique ont augmenté en fréquence entre le début et la fin de l’Holocène, tandis que les événements centre-Pacifique et côtiers ont diminué en fréquence », rapporte la chercheuse. « Fait important, nous avons montré que ce n’est pas seulement leur fréquence, mais aussi la force de leur impact qui change ».

Les impacts climatiques, en termes d’inondations et de sécheresses sur les continents adjacents, sont finalement ce qui importe le plus pour nos sociétés. À ce titre, les chercheurs ont constaté qu’ils étaient très différents selon la structure d’El Niño, d’où l’importance d’identifier les saveurs qui seront favorisées dans un climat plus chaud et celles qui ne le seront pas. Ces résultats devraient permettre de préciser la représentation encore perfectible du phénomène dans les modèles de climat et de réduire les incertitudes des projections climatiques.