Dans la vie de tous les jours, beaucoup d’entre nous ont pu expérimenter les bienfaits d’un câlin ou d’une simple tape compatissante sur l’épaule après une épreuve ou une dure journée. Le toucher est également la première manière dont un bébé va interagir avec le monde physique et social qui l’entoure lors de sa venue au monde et une fois adulte, les sensations associées à ce sens en particulier deviennent cruciales pour appréhender le monde et communiquer. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui en ont ressenti la perte et le manque pendant la crise Covid.
Mais comme les massages peuvent le laisser suggérer, ce sens peut-il réellement contribuer à améliorer notre santé physique et mentale ? Et surtout, la personne qui nous touche et la manière dont elle le fait a-t-elle la moindre importance ? C’est justement ce que cherchait à déterminer cette nouvelle étude publiée le 8 avril dans Nature Human Behaviour.
Les effets du toucher sur la santé physique et mentale
Pour cette méta-analyse, des scientifiques allemands de l’Université de la Ruhr (Bochum, Allemagne) et néerlandais ont passé en revue des années de recherche portant sur le toucher, les caresses, les câlins et les massages à travers 212 études qui ont impliqué 12 966 volontaires (des bébés comme des adultes). Chaque étude comparait des individus qui avaient été touchés d’une manière ou d’une autre lors d’une expérience ou qui avaient touché des objets, par exemple une peluche duveteuse, avec d’autres individus similaires qui n’avaient pas vécu ces expériences avec pour objectif de déterminer si le toucher avait de réels bénéfices.
Pour les chercheurs, les résultats sont sans appel. Ainsi qu’ils l’expliquent, ces travaux démontrent en effet des bienfaits sur le plan physique et mental « à la fois chez des cohortes saines et malades, et à tous les âges. Ces bénéfices, bien qu’influencés dans leur ampleur par les cohortes étudiées et les caractéristiques de l’expérience, étaient solidement présents, promouvant la conclusion que l’intervention du toucher peut être systématiquement employée auprès de la population pour préserver et améliorer la santé. » Cette analyse approfondie et complète démontre notamment que des touchers consensuels peuvent contribuer au bien-être et produisent des réductions notables de la douleur, de l’anxiété, du cortisol (l’hormone du stress) et de la dépression chez les adultes.
Ces travaux ont également permis de démontrer que les individus avec des troubles ou des maladies préexistants semblent tirer plus de bénéfices que les personnes sans problèmes physiques ou de santé mentale, insistant ainsi sur le rôle clé du toucher dans le soin et le soutien des patients. Comme le souligne Julian Packheiser, le principal auteur de l’étude : « C’est notamment pertinent quand on considère à quel point l’utilisation du toucher est prise à la légère. »
La fréquence plus importante que le reste
Ces recherches ont soulevé un point essentiel. D’après les conclusions de l’étude, l’identité de la personne qui touche, la manière de le faire ou la durée n’ont aucun impact sur l’efficacité du toucher. En revanche, la fréquence s’y impose comme un facteur essentiel, laissant ainsi entrevoir l’effet positif potentiel d’interactions régulières, même brèves. L’analyse rappelle notamment l’exemple d’une étude antérieure qui consistait à réaliser tous les jours un massage doux d’une vingtaine de minutes à des personnes âgées atteintes de démence. Or, après six semaines d’expérience, ces massages avaient permis de réduire leur agressivité et les marqueurs de stress dans leur sang.
Les bébés, très sensibles au toucher par leurs parents
Chez les nourrissons, des gestes doux sont également très importants. Chez les tout-petits, les effets thérapeutiques étaient notamment grandement augmentés par le contact peau à peau. Toutefois, la personne qui touche a ici beaucoup plus d’importance. En effet, selon ces analyses, chez les bébés, le toucher fonctionne mieux s’il s’agit d’un parent et non d’un professionnel de santé inconnu, possiblement à cause de leur odeur ou de la manière dont un proche va tenir son enfant. Cela peut se révéler crucial plus particulièrement chez les nouveau-nés prématurés ou nés avec un poids relativement faible.
En 2023, Jeeva Sankar, un chercheur spécialisé en pédiatrie avait publié une étude avec un collègue dans lequel il préconisait le contact peau à peau avec ces bébés fragiles aussi vite que possible après la naissance et pendant au moins huit heures par jour, une recommandation ensuite adoptée par l’OMS. Les chercheurs estiment ainsi que la méta-analyse nouvellement parue pourrait améliorer significativement les chances de survie des bébés prématurés (dont la mortalité est très élevée dans certains pays) et offrir un soutien implémentable immédiatement et facilement pour améliorer la santé du nourrisson.
Des résultats étonnants, mais aussi et surtout de nouvelles questions
Les chercheurs furent étonnés de découvrir que bien que le toucher humain soit plus efficace (notamment possiblement grâce au peau-à-peau et la connexion émotionnelle liée à cette forme d’interaction), l’utilisation de robots ou de couvertures lestées pouvait finalement avoir des bienfaits très similaires sur le bien-être des participants. Par ailleurs, les femmes semblaient plus sensibles aux effets du toucher que les hommes tout comme les populations sud-américaines en comparaison des Nord-Américains et des Européens, autant de disparités que les scientifiques attribuent ici potentiellement à un effet culturel (même si les différences entre les pays étaient suffisamment minimes pour ne pas être irréfutables).
Un autre élément soulevé par l’étude est que le fait de toucher le visage ou le crâne a plus d’effets bénéfiques que sur d’autres parties du corps (torse, etc.). Il s’agit d’une observation qui pourrait selon les scientifiques s’expliquer par les nombreuses terminaisons nerveuses présentes au niveau de la tête. Par ailleurs, suivre une même direction était d’après eux plus efficace que des touchers plus désorganisés.
Des résultats à préciser, mais un bon début
La communauté scientifique trouve ces résultats pertinents et se félicite de voir les effets du toucher mis en avant à travers une méta-analyse aussi exhaustive, surtout dans un contexte où la médecine s’est toujours employée à prioriser l’importance de parler ou d’avoir recours aux thérapies somatiques tout en négligeant l’importance du toucher. Cependant, elle ne manque pas de soulever au passage quelques points qui restent à préciser.
Des données manquent en effet encore sur les bienfaits chez d’autres groupes d’âge (surtout les enfants et les adolescents) comme chez les patients autistes par exemple. En outre, ces travaux n’explorent pas les effets du contact avec des animaux. À cela s’ajoute le fait que l’étude livre une conclusion très large basée sur des travaux variés auprès de populations différentes sur des échantillons limités. Cela ne permet ainsi pas d’identifier des types particuliers de touchers associés à des bienfaits spécifiques ni d’expliquer pourquoi cela fonctionne et comment cela pourrait s’intégrer dans le parcours de soin d’un patient.
Il est donc impossible de savoir comment mettre en place une thérapie par le toucher sans conclusions plus solides qui offriraient une marche ou une direction à suivre. Bien qu’assez large, cette recherche ouvre néanmoins la voie à de futures investigations plus poussées et les nombreuses interrogations qui restent à éclaircir pourront, une fois investiguées, permettre de mettre en œuvre des soins appropriés guidés par le toucher en complément d’autres traitements médicaux.