Depuis plusieurs années, les records de chaleur semblent se suivre et se ressembler. Et peu après l’annonce concernant mars 2024, sacré le dixième mois consécutif le plus chaud jamais enregistré, c’est au tour de l’été 2023 de ne pas déroger à cette funeste règle. En effet, une étude récente vient de déclarer qu’il a battu tous les records en devenant l’été le plus chaud depuis 2000 ans dans les zones tempérées de l’hémisphère nord.
Été 2023 : une chaleur record qui n’étonne pas les chercheurs
« 2023 a représenté l’été le plus chaud dans l’hémisphère nord extratropical sur les dernières 2 000 années ». C’est en tout cas ce qu’ont annoncé les chercheurs dans cette nouvelle étude publiée ce mardi 14 mai 2024 dans la revue Nature. Et comme l’affirme Jan Esper, professeur de climatologie à l’université Gutenberg de Mayence (Allemagne) et auteur principal de ces recherches, à l’AFP : « Nous ne devrions pas être surpris. Pour moi, c’est seulement la continuation de ce que nous avons commencé en relâchant des gaz à effet de serre » et en utilisant massivement des énergies fossiles depuis l’ère industrielle.
Les cernes d’arbres passés à la loupe
Pour obtenir ces tristes résultats, les scientifiques ont ici utilisé la dendrochronologie, une discipline qui consiste à analyser les cernes de croissance des arbres. Ces anneaux concentriques sur les troncs coupés se forment en effet avec le temps et permettent d’identifier avec une précision remarquable les changements climatiques opérés avec les années ainsi que l’âge et les conditions de pousse des végétaux. Et si nos instruments de mesure et les modèles informatiques récents permettent certes des comparaisons fiables et précises, l’utilisation des cernes d’arbres permet de remonter plus loin dans le temps (ici jusqu’à l’an 1) pour une vision à plus grande échelle et compléter le manque de données liées au peu de stations météo présentes par le passé.

Cette étude compile ainsi les données de milliers d’arbres répartis sur neuf sites présents dans les zones tempérées de l’hémisphère nord (comprenant l’Europe, les États-Unis, etc. [soit de 30 à 90 degrés nord de latitude]) avec pour objectif de définir un écart entre la température de chaque été de juin à août et la température moyenne de 1850 à 1900 (la période de référence pour définir le climat avant l’ère industrielle).
Des résultats inquiétants
Grâce aux données obtenues et des calculs réalisés avec un taux de confiance de 95 %, les auteurs de ces travaux ont ainsi pu estimer que l’été 2023 a été au moins un demi-degré Celsius plus chaud que la période estivale de l’an 246, la plus chaude identifiée par l’étude dans l’hémisphère nord (0,88 °C plus chaud que la moyenne). Ces estimations prennent en outre en compte une marge d’incertitude liée à l’utilisation de données anciennes. Sans prise en compte de cette marge d’erreur, les chercheurs affirment ainsi que la saison estivale 2023 aurait même été 1,19 °C plus chaude qu’en 246. L’étude conclut en tout cas que la période estivale 2023 a été 2,07 °C plus chaude que la moyenne pour la période préindustrielle et 2,2 °C plus chaude en considérant les températures moyennes pour la période allant de l’an 1 à 1890.
En comparant les températures moyennes de la fin du XVIIIe siècle et les températures actuelles (le tout dans l’hémisphère nord qui réagit différemment au changement climatique en comparaison de l’hémisphère sud), cette étude démontre en tout cas que l’humanité a dépassé la limite fixée à 1,5 °C par les accords de Paris en 2015 et les chercheurs alertent dans un communiqué que « ces estimations démontrent la nature inégalée du réchauffement actuel et la nécessité de prendre des mesures urgentes pour réduire les émissions de carbone ».
Grâce à ces recherches, les scientifiques peuvent avoir une vision plus large du changement climatique qui prend ici en compte aussi la variabilité naturelle du climat avant l’ère industrielle, marquée par l’émission massive de gaz à effet de serre, un phénomène qui a exacerbé les effets d’El Niño sur le climat.

Après l’été 2023, le pire reste à craindre pour 2024
Certains scientifiques se méfient de la dendrochronologie utilisée ici. Plusieurs facteurs environnementaux et biotiques peuvent en effet influencer les données obtenues. Les variations de croissance des arbres peuvent être affectées par des facteurs autres que le climat, tels que les perturbations locales, les maladies ou la concurrence entre arbres. De plus, la représentativité des échantillons et les erreurs de datation peuvent introduire des biais. Enfin, les conditions climatiques locales ne reflètent pas toujours les tendances globales, ce qui limite l’applicabilité des conclusions. Ces incertitudes peuvent ainsi remettre en question la fiabilité des reconstructions climatiques basées uniquement sur les anneaux de croissance des arbres.
Reste que même s’ils ne feront pas consensus au sein de la communauté scientifique, ces résultats restent dans la même ligne qu’un rapport récent de l’Organisation météorologique mondiale (WMO) qui confirmait que l’année 2023 était la plus chaude jamais enregistrée, et ce, possiblement sur les 100 000 dernières années. Avec ses propres mesures pour base, Météo France classe par ailleurs pour sa part 2023 comme étant deuxième au classement des années les plus chaudes depuis le début du XXe siècle dans l’Hexagone. Ces recherches s’alignent également avec les nombreux records météorologiques battus au cours de l’année 2023 (fonte des glaciers, canicules océaniques, retrait de la banquise arctique, mois chauds consécutifs…) et l’année 2024 semble déjà bien partie pour avoir également son lot de records, laissant craindre le pire pour l’été à venir.
Comme le conclut en effet Ulf Büntgen, le coauteur de l’étude qui travaille à l’Université de Cambridge : « quand vous regardez le long cours de notre histoire, vous pouvez voir à quel point le réchauffement climatique récent est dramatique. 2023 était une année exceptionnellement chaude et cette tendance va perdurer à moins de réduire significativement nos émissions de gaz à effet de serre. »