Imaginez la scène : il y a 1,5 million d’années, deux individus appartenant à des espèces différentes de nos ancêtres marchent sur les rives d’un lac en Afrique de l’Est. L’un a une démarche proche de celle des humains modernes, tandis que l’autre laisse des empreintes plus plates qui sont caractéristiques d’une morphologie différente. Que pensaient-ils en se voyant ? Se connaissaient-ils ? Ce moment unique a été immortalisé dans la boue, offrant aux chercheurs une opportunité rare de comprendre la coexistence de ces hominidés.
Un trésor enfoui sur les rives du lac Turkana
Koobi Fora, situé sur la rive est du lac Turkana, est une zone riche en fossiles. Depuis plusieurs décennies, ce site a livré des découvertes majeures qui ont permis de retracer l’évolution humaine sur près de trois millions d’années. Il y a trois ans, des anthropologues y ont découvert une piste de huit mètres de long comprenant une douzaine d’empreintes attribuées à un individu de Paranthropus boisei, ainsi que deux empreintes isolées, probablement laissées par Homo erectus.
Ces traces, préservées dans la boue humide, ont été protégées par un enfouissement rapide, un phénomène rare qui a permis leur conservation jusqu’à aujourd’hui. Pour les analyser, les chercheurs ont utilisé des techniques avancées d’imagerie 3D. Ces outils permettent de capturer les moindres détails de la morphologie des empreintes, révélant non seulement la forme des pieds, mais aussi les mouvements des individus qui les ont laissées.
Deux espèces, deux allures différentes
Les traces racontent une histoire captivante sur les différences anatomiques entre ces deux espèces.
Les empreintes attribuées à Homo Erectus révèlent des caractéristiques similaires à celles des humains modernes : une voûte plantaire élevée et une foulée qui passe du talon aux orteils. Ces traits sont essentiels pour marcher ou courir sur de longues distances, ce qui est une adaptation clé pour cette espèce, souvent considérée comme notre ancêtre direct.
Les empreintes laissées par Paranthropus boisei montrent en revanche un pied plus plat et un gros orteil légèrement divergent, non aligné avec le reste du pied. Cela reflète une morphologie adaptée à un mode de vie différent, peut-être davantage axé sur la collecte de nourriture dans un environnement varié.
Autrement dit, les résultats démontrent clairement que les empreintes attribuées à Homo erectus traduisent une foulée adaptée à la course ou à la marche rapide, tandis que celles de Paranthropus boisei reflètent une démarche plus lente et plus lourde. Cette différence dans la locomotion indique également des modes de vie différents, Homo erectus étant probablement plus mobile, explorant de nouveaux territoires, tandis que Paranthropus boisei exploitait les ressources locales.
Un partage du paysage et peut-être plus
Ces empreintes fossiles ne montrent pas seulement une coexistence temporelle, mais aussi spatiale. Les traces ont été laissées à quelques heures d’intervalle sur le même terrain, suggérant que ces deux espèces étaient physiquement proches. Mais quelles interactions avaient-elles ?
Kevin Hatala, paléoanthropologue et directeur de l’étude, évoque des parallèles avec les chimpanzés et les gorilles, deux espèces qui coexistent aujourd’hui dans les mêmes forêts africaines. Ces grands singes interagissent parfois de manière positive, en partageant des ressources, ou négative, par des comportements compétitifs.
Cependant, l’interaction entre Homo erectus et Paranthropus boisei pourrait être encore plus complexe. Leurs différences anatomiques et comportementales auraient pu influencer leurs relations, allant d’une simple coexistence à des échanges culturels ou des conflits. Si ces espèces se reconnaissaient comme « différentes », leurs interactions auraient pu jouer un rôle dans leur évolution respective.