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Un exemple d'usure de l'émail sur le côté des dents de la période glaciaire de Dolní Vestonice, en République tchèque. Crédits : John C. Willman / Université de Coimbra

Les Européens de l’ère glaciaire âgés d’à peine 10 ans portaient des piercings aux joues

Les archéologues ont longtemps été intrigués par les étranges taches plates observées sur les dents de certaines populations anciennes. Ces marques énigmatiques, surtout visibles sur les canines et les dents jugales des squelettes qui datent de l’ère glaciaire, ont longtemps défié les explications classiques. Une nouvelle théorie pourrait enfin résoudre ce mystère. Selon John Willman, un anthropologue biologique de l’Université de Coimbra au Portugal, ces traces d’usure seraient le résultat de piercings aux joues portés dès l’enfance par les hommes de l’ère glaciaire. Ces piercings, appelés labrets, auraient non seulement marqué l’appartenance à un groupe social, mais auraient aussi modifié l’apparence des dents au fil du temps.

Le mystère des dents anciennes : un phénomène étrange

Les dents des anciens Européens, notamment celles des individus de la période pavlovienne, ont toujours suscité l’intérêt des archéologues, en particulier en raison de leur usure dentaire étrange. Ces groupes humains, qui vivaient en Europe centrale entre 25 000 et 29 000 ans, ont en effet laissé derrière eux des fossiles présentant des signes d’usure dentaire qui ne correspondent pas aux modèles habituels. Les canines et les dents jugales de ces individus montrent notamment des traces plates et irrégulières qui ne peuvent pas être expliquées simplement par des habitudes de mastication, de grincement des dents ou d’autres causes naturelles d’usure.

Ce phénomène a naturellement attiré l’attention des chercheurs. Plusieurs théories ont également été avancées au fil des années pour tenter de résoudre ce mystère. Certains archéologues ont proposé que l’usure puisse être liée à des comportements spécifiques de l’époque tels que la consommation d’aliments durs ou abrasifs ou encore l’utilisation d’outils en bois ou en pierre qui auraient pu entrer en contact avec les dents. Cependant, aucune de ces explications n’a pu rendre compte de manière convaincante des traces d’usure observées.

Les piercings aux joues comme explication

Dans le cadre d’une récemment publiée dans le Journal of Paleolithic Archaeology, l’anthropologue John Willman propose une explication audacieuse : les labrets, des piercings insérés dans la joue ou la lèvre inférieure, pourraient être à l’origine de cette usure dentaire étrange. Selon le chercheur, l’usure des dents serait alors le résultat direct du frottement constant causé par le labret en contact avec les dents, surtout lorsqu’il est porté sur une longue période.

Pour confirmer son hypothèse, Willman a étudié plusieurs squelettes issus de fouilles pavloviennes. Il a observé l’usure des dents, en particulier celle des canines et des molaires, et a comparé les traces d’usure entre les enfants et les adultes. Il a alors constaté que les traces d’usure sur les dents de lait des enfants indiquaient que les piercings étaient probablement insérés dès l’enfance, ce qui correspond à l’idée que les labrets étaient portés pour marquer l’identité dès un jeune âge.

Chez les adultes, l’usure était plus importante et plus étendue, ce qui suggère que les piercings évoluaient au fil du temps, avec des labrets de plus grande taille ou placés différemment qui créaient ainsi un contact plus prolongé avec les dents. Cette évolution de l’usure dentaire au fil des années soutient l’idée que les labrets étaient non seulement portés tout au long de la vie, mais qu’ils pouvaient également marquer un changement de statut social ou une nouvelle phase de vie.

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Dessin indiquant où les labrets auraient pu être placés pour créer l’usure observée sur les dents de la période glaciaire. Crédits : John C. Willman / Université de Coimbra

Les implications sociales et culturelles : pourquoi ces piercings étaient-ils importants ?

Les piercings, qui ont existé dans de nombreuses cultures à travers l’histoire, étaient souvent portés pour des raisons sociales, religieuses ou esthétiques. Chez les Pavloviens, ils servaient probablement à signaler l’appartenance à un groupe social ou à marquer des événements de la vie, tels que la puberté ou le mariage. À une époque où l’identité de groupe était cruciale pour la survie, appartenir à un groupe spécifique pouvait en effet être une question de vie ou de mort. Porter un labret était donc un moyen de montrer son appartenance à un groupe social ou à une tribu. L’usure des dents, particulièrement marquée chez les adultes, pourrait aussi refléter un système de rites de passage : les piercings étaient peut-être associés à des étapes importantes de la vie, comme le passage à l’âge adulte, le mariage ou d’autres événements marquants.

Une question reste cependant en suspens : pourquoi aucun artefact de labret n’a été retrouvé dans les fouilles ? Willman suggère que ces piercings étaient probablement fabriqués à partir de matériaux périssables comme le bois ou le cuir qui ne se sont pas conservés au fil des millénaires. Cela souligne une difficulté pour les archéologues qui devront peut-être réexaminer des artefacts existants pour rechercher des traces plus subtiles de ces pratiques.

La recherche sur l’usage des labrets dans l’ère glaciaire pourrait ouvrir de nouvelles pistes pour mieux comprendre les cultures anciennes, au-delà des objets matériels qui ont survécu.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.