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Un troupeau de cératopsiens, représenté par le Styracosaurus albertensis aux cornes ridicules et un ankylosaure (Euplocephalus tutus) surveillé par deux tyrannosaures (Gorgosaurus libratus). Crédit image : Julius Csotonyi

Ensemble face à l’ennemi : ces empreintes révèlent un comportement inédit chez les dinosaures !

Dans les terres désolées de l’Alberta, une découverte extraordinaire remet en question tout ce que nous pensions savoir sur les dinosaures. Des empreintes fossilisées révèlent pour la première fois que différentes espèces voyageaient ensemble, s’entraidant face aux prédateurs comme le font aujourd’hui les zèbres et les gnous dans la savane africaine. Une révélation qui transforme notre vision de ces géants disparus.

Quand un paléontologue change de perspective

Le Dr Phil Bell arpentait les paysages escarpés du parc provincial Dinosaur depuis près de deux décennies, fouillant inlassablement le sol à la recherche d’ossements fossilisés. Comme la plupart de ses collègues, il se concentrait sur les restes squelettiques, négligeant les traces de pas qui parsemaient pourtant le terrain de ce site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Pourtant, un jour, quelque chose d’inhabituel attire son attention : un rebord rocheux à l’aspect étrange, semblable à de la boue qui aurait été piétinée. Cette texture particulière éveille sa curiosité et le pousse à examiner de plus près ce qu’il prenait jusque-là pour de simples formations géologiques.

Cette intuition se révèle payante. Le relief qu’il observe n’est autre que l’empreinte parfaitement conservée d’un cératopsien, ces dinosaures herbivores reconnaissables à leurs impressionnantes collerettes osseuses et leurs cornes redoutables. Mais ce n’est que le début d’une découverte qui va bouleverser sa compréhension du comportement des dinosaures.

Un instantané de vie vieux de 76 millions d’années

Motivé par cette première trouvaille, Bell et son équipe décident d’explorer minutieusement les 29 mètres carrés environnants. Leur patience est récompensée au-delà de leurs espérances : treize empreintes distinctes émergent progressivement de la roche, témoignant du passage d’au moins neuf dinosaures appartenant à quatre espèces différentes.

Le tableau qui se dessine sous leurs yeux défie toutes les attentes. Cinq cératopsiens ont clairement traversé cette zone ensemble, leurs traces révélant un déplacement coordonné. Mais plus surprenant encore, deux autres empreintes, probablement laissées par des ankylosauridés – ces « tanks » préhistoriques au dos cuirassé – suivent exactement le même chemin. L’alignement et l’espacement de ces traces ne laissent aucun doute : ces espèces différentes voyageaient de concert.

Le mystère s’épaissit avec la découverte de trois empreintes supplémentaires, beaucoup plus imposantes. Leur taille et leur forme trahissent la présence de tyrannosaures, ces redoutables prédateurs qui régnaient en maîtres sur les écosystèmes du Crétacé. Mais étaient-ils en train de traquer le troupeau, ou ont-ils simplement emprunté le même itinéraire quelques heures plus tard ?

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Crédit image : Dr Brian Pickles, Université de Reading

L’énigme de la coopération préhistorique

Cette découverte révolutionne notre compréhension des dynamiques sociales chez les dinosaures. Jusqu’à présent, les preuves de comportement grégaire concernaient principalement des individus de la même espèce. Voir des herbivores de familles différentes coordonner leurs déplacements évoque irrésistiblement les grandes migrations contemporaines.

Dans les plaines africaines, zèbres et gnous unissent leurs forces lors de leurs périples saisonniers. Cette alliance n’est pas le fruit du hasard : chaque espèce apporte ses propres atouts sensoriels. Les zèbres excellent dans la détection visuelle des prédateurs, tandis que les gnous possèdent un odorat particulièrement développé. Ensemble, ils forment un système d’alerte précoce redoutablement efficace contre les lions et autres chasseurs.

Les chercheurs suggèrent qu’un mécanisme similaire pourrait avoir gouverné ces rassemblements préhistoriques. Les cératopsiens, avec leur vue perçante, et les ankylosauridés, probablement dotés d’un excellent odorat, auraient maximisé leurs chances de survie en mutualisant leurs capacités de détection.

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Les traces de tyrannosaures sur le site de Skyline. Crédit image : Dr Brian Pickles, Université de Reading

Des indices troublants dans la boue fossilisée

L’analyse des sédiments révèle que ces animaux se dirigeaient vraisemblablement vers un point d’eau, motivation suffisante pour expliquer la convergence de leurs trajectoires. La boue dans laquelle ils ont laissé leurs empreintes ne pouvait conserver ces traces que pendant une période limitée, mais suffisamment longue pour que plusieurs espèces l’aient foulée successivement.

Cette fenêtre temporelle restreinte rend l’interprétation délicate. Les tyrannosaures surveillaient-ils réellement le troupeau, attendant l’occasion idéale pour attaquer ? Ou leur passage relève-t-il d’une simple coïncidence géographique ? Les scientifiques restent prudents, mais l’hypothèse d’une interaction prédateur-proie en temps réel demeure plausible.

Une révolution paléontologique en marche

Cette découverte, publiée dans la revue PLOS ONE, ouvre des perspectives fascinantes sur la complexité comportementale des dinosaures. Elle suggère que ces créatures développaient des stratégies sophistiquées de coopération inter-espèces, remettant en question l’image simpliste de reptiles primitifs guidés par leurs seuls instincts.

Les nouvelles techniques d’imagerie utilisées par l’équipe ont déjà permis d’identifier plusieurs autres sites prometteurs dans le parc. Chaque nouvelle trace découverte enrichit notre compréhension de ces écosystèmes disparus, révélant des interactions d’une complexité insoupçonnée entre les géants du Mésozoïque.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.