Engagée dans son fameux Energiewende, un vaste programme de transition énergétique aspirant à produire 80 % de sa consommation brute d’électricité de sources renouvelables d’ici à 2030, l’Allemagne a choisi de mettre un terme à son programme nucléaire en avril dernier. Une décision cadrant avec ses ambitions, mais qui semble placer le pays dans une situation délicate, aussi bien techniquement qu’écologiquement. Un véritable scandale pour une partie de la classe politique allemande.
L’abandon du nucléaire coûte cher à l’Allemagne
La déconnexion de la dernière centrale du réseau électrique le 15 avril dernier a définitivement mis fin au nucléaire allemand. Mais elle n’en a pour autant pas fini avec l’atome, avec qui elle devra encore composer pendant les décennies à venir. L’arrêt du nucléaire place en effet le pays face à deux défis majeurs ; celui du démantèlement des réacteurs, déjà initié, mais loin d’être achevé, et celui de l’enfouissement des déchets, dont le site n’a même pas encore été trouvé.
Ce ne sont pas moins de 33 réacteurs que Berlin doit démanteler. Parmi eux, la plupart sont déjà en chantier — 22 autorisations de déconstruction ont pour l’heure été délivrées — tandis qu’une dizaine sont toujours intacts. Pour les réacteurs les plus anciens, les travaux ont d’ailleurs été engagés de longue date. Le démantèlement de la centrale de Mülheim-Kärlich a ainsi débuté en 1988, tandis que celui de la centrale Lubmin, sur les rives de la mer Baltique, remonte à 1995. Des chantiers titanesques donc, tant par leur taille que par leur complexité liée à la radioactivité des sites — les ouvriers doivent passer chaque objet, gravats, mètre carré de mur au compteur Geiger —, que très peu d’entreprises sont en mesure de mener à bien. Pour la centrale de Mülheim-Kärlich, notamment, c’est d’ailleurs le géant français Orano qui a la charge de la majeure partie du démantèlement, en collaboration avec l’entreprise allemande EWN (Entsorgungswerk für Nuklearanlagen GmbH).
Dans le pays, cette décision a fait l’objet de puissants débats. « Avec l’arrêt des trois dernières centrales nucléaires, nous avons renoncé à 30 térawattheures d’électricité climatiquement neutre par an », s’est indigné, pour le quotidien allemand Tagesspiegel, le patron des députés libéraux allemands, Christian Dürr. « Nous constatons que les réductions de la production d’électricité nucléaire ont été compensées principalement par des augmentations de la production au charbon et des importations nettes d’électricité », estiment ainsi les auteurs d’une étude sur les conséquences de la sortie allemande du nucléaire.
Si Berlin s’engage dans la voie du démantèlement de ses centrales nucléaires, ses centrales à charbon sont, elles, pour la plupart, toujours ouvertes. Pire, Berlin en a inauguré une nouvelle en 2020, baptisée Datteln 4, et rouvert certaines préalablement fermées. « En Europe, fermer des centrales nucléaires avant de fermer des centrales fossiles (charbon puis gaz) est difficile à comprendre dans ce contexte », affirme Valérie Masson-Delmotte, spécialiste des enjeux climatiques. La combustion du charbon rejette, en effet, 100 fois plus de CO2 que le nucléaire. En 2022, l’Allemagne produisait encore un tiers de son électricité grâce au charbon, là où cette part reste marginale au Royaume-Uni et en France. Pire, la production d’électricité au charbon augmente en Allemagne depuis 2020, selon les données de l’organisation Ember-climate.
Autre enjeu de taille : le problème de l’enfouissement des déchets, qui reposent encore en partie dans l’enceinte des centrales, et pour le reste, dans des sites temporaires dédiés. Mais l’Allemagne n’a, en définitive, toujours pas commencé à enfouir ses déchets radioactifs. Concernant ses déchets de faible et moyenne activité, un site avait pourtant été trouvé dès 2007 — l’ancienne mine de fer Konrad, en Basse-Saxe — et l’enfouissement devait débuter en 2023. Mais il a une première fois été reporté à 2027, puis à 2030 en juin dernier en raison de plaintes déposées par des organisations écologistes. Et le stockage des déchets de haute activité, les plus radioactifs, n’a, lui, toujours pas de site dédié, ce qui pousse certains experts à envisager une fin de l’enfouissement aux alentours de 2080, contre 2045 prévu initialement. Mais, quelle que soit sa durée, le procédé sera cher : 176 milliards d’euros, selon le Bundestag.
La France suit un chemin inverse
La France, quant à elle, suit le chemin en inverse. EDF vient en effet de recevoir, mi-août, le feu vert de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour poursuivre l’exploitation du réacteur numéro 1 de la centrale de Tricastin (Drôme) au-delà de sa durée théorique de fonctionnement maximale de 40 ans, pour 10 ans supplémentaires. Pour mériter ce second souffle de vie, le site de Tricastin a évidemment dû faire l’objet d’études et de travaux sans précédent, censés prouver et garantir que le vieillissement des parties irremplaçables, comme la cuve de son réacteur, ne contre-indiquait pas l’extension de sa durée de vie.
Le niveau de sûreté du réacteur a également été relevé, grâce notamment à de nouveaux équipements : un récupérateur de corium visant à contenir un possible écoulement de magma, et des moteurs diésel capable de prendre le relais en cas de coupure électrique. « Prolonger les réacteurs en activité au-delà de 40 ans ne doit pas se faire au détriment de la sûreté alors qu’il serait envisageable de les remplacer par des réacteurs de conception plus récente et disposant d’un niveau de sûreté renforcé. C’est pourquoi il a été fixé comme objectif pour le quatrième réexamen périodique des réacteurs de 900 MW d’atteindre le même niveau de sûreté que pour les constructions neuves » assure Philippe Dupuy, directeur adjoint de la direction des centrales nucléaires à l’ASN.
En termes d’émissions de CO2, la France fait partie de la tête de classe européenne. « Les systèmes électriques parviennent (à décarboner leur production électrique) avec des moyens différents. Presque à 100 % d’hydraulique pour la Norvège, un mix nucléaire, hydraulique, éolien et solaire pour la Suède, la Suisse et la France », affirme une blogueuse, spécialiste des enjeux énergétiques, pour Le Monde. L’Allemagne est, quant à elle, encore bien en peine. « En Allemagne, malgré plusieurs centaines de milliards investis dans l’éolien et le solaire, les périodes où l’électricité est massivement carbonée sont encore beaucoup trop nombreuses au long de l’année, provoquant des émissions de CO2 dépassant les 600 grammes par kWh produit », poursuit la blogueuse, dans le blog du Monde.