On savait déjà que les corneilles faisaient partie des oiseaux les plus intelligents du règne animal. Mais cette fois, elles viennent de repousser les limites : des corneilles noires ont en effet réussi à distinguer des formes géométriques irrégulières dans un test complexe, une capacité cognitive que l’on croyait jusqu’ici réservée aux humains. Et le plus surprenant ? Elles y sont parvenues plus efficacement que des babouins.
Un test simple, une performance remarquable
L’expérience, menée par l’équipe du neurobiologiste Andreas Nieder à l’Université de Tübingen, en Allemagne, avait tout d’un jeu pour oiseaux malins. Devant une corneille noire, un écran affichait six formes géométriques. Cinq étaient identiques, une était différente : une forme légèrement tordue, asymétrique, ou simplement inhabituelle. L’oiseau devait picorer la forme « intruse » pour obtenir une récompense : un délicieux ver de farine.
Au départ, les différences étaient flagrantes (par exemple cinq lunes et une fleur). Mais très vite, les chercheurs ont complexifié l’exercice en utilisant des formes presque identiques : quadrilatères aux contours subtilement différents, carrés déformés, losanges asymétriques…
Et malgré cette difficulté croissante, les corneilles ont continué à identifier la bonne forme avec succès, y compris lors des tout premiers essais avec des figures inédites. Une performance qui indique une compréhension abstraite de la régularité géométrique, et non un simple dressage ou une reconnaissance par habitude.
Quand les oiseaux battent les singes
Ce qui rend cette découverte encore plus remarquable, c’est qu’elle surpasse les capacités observées chez d’autres animaux bien plus proches de nous. Des babouins, testés dans une étude similaire, n’ont pas réussi à accomplir cette tâche, même après un entraînement poussé.
« Je ne m’attendais vraiment pas à ce que les corneilles y parviennent », admet Mathias Sablé-Meyer, neuroscientifique à l’University College de Londres, et co-auteur de l’étude chez les primates.

Une intelligence utile dans la nature ?
D’après Giorgio Vallortigara, neuroscientifique à l’université de Trente, qui n’a pas participé à l’étude, distinguer des formes en se basant uniquement sur des propriétés comme la longueur des côtés ou les angles est bien plus complexe que de simplement percevoir des différences de taille ou de surface.
Jusqu’ici, on pensait que cette « intuition géométrique » était réservée à l’humain. Mais l’étude d’Andreas Nieder montre que les corneilles peuvent identifier des formes anormales au sein d’un ensemble, en se basant uniquement sur leurs propriétés géométriques, sans apprentissage spécifique préalable.
Mais alors, pourquoi les corneilles possèdent-elles cette compétence ? La réponse pourrait être évolutive. Leur mode de vie, notamment leur capacité à s’orienter dans l’espace ou à reconnaître des individus, aurait favorisé le développement de cette intelligence géométrique. Par exemple, reconnaître un visage ou un congénère repose aussi sur l’analyse des relations spatiales entre des éléments (yeux, bec, etc.).
Enfin, cette découverte souligne un point fascinant : bien que leur cerveau soit très différent du nôtre — sans cortex cérébral comme chez les mammifères — les corneilles développent des comportements très flexibles. Cela prouve que l’intelligence peut émerger par des chemins évolutifs différents, mais tout aussi efficaces.
Vers une nouvelle compréhension de l’intelligence animale
Les corneilles noires (comme les autres corvidés) ne cessent de fasciner les scientifiques : elles utilisent des outils, planifient leurs actions, se souviennent de visages humains et, désormais, semblent capables d’abstraction géométrique.
L’étude, publiée dans Science Advances, n’est que le début d’un champ d’exploration passionnant. « Je n’oserais jamais dire que les corneilles sont les seules capables de cela », confie Nieder. « Nous venons juste d’ouvrir cette porte. »