cancer colorectal
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Elle vit dans vos intestins… et pourrait être liée à l’explosion des cancers colorectaux chez les jeunes

Depuis quelques années, un phénomène inquiétant émerge dans le domaine de la santé publique : une augmentation de plus en plus marquée des cancers colorectaux chez les jeunes adultes. Si, historiquement, ce type de cancer était considéré comme une maladie des personnes âgées, il touche désormais des individus de moins de 50 ans. En France, comme dans de nombreux autres pays, cette tendance interpelle évidemment les chercheurs et professionnels de santé, car les facteurs traditionnels de risques tels qu’une mauvaise alimentation, la sédentarité, ou le tabagisme ne suffisent pas à expliquer cette évolution.

Mais une nouvelle avancée scientifique pourrait offrir une explication : cette explosion des cancers colorectaux chez les jeunes pourrait être liée à une toxine présente dans notre intestin, produite par une bactérie commune et jusque-là souvent considérée comme inoffensive. Cette toxine se nomme colibactine, et elle pourrait bien être l’un des éléments clés de ce phénomène inquiétant.

La colibactine, suspecte numéro un

La colibactine est une toxine produite par certaines souches d’Escherichia coli (E. coli), une bactérie que l’on retrouve naturellement dans le microbiote humain, notamment dans l’intestin. Bien que la plupart des souches d’E. coli soient inoffensives, certaines, comme celles porteuses du gène pks, sont capables de produire cette toxine, capable de perturber l’ADN humain.

Dans une étude récemment publiée dans Nature, une équipe internationale de chercheurs a révélé que la colibactine pourrait être responsable de la formation de mutations génétiques directement liées au développement du cancer colorectal. Leur recherche s’est appuyée sur l’analyse de l’ADN de 981 tumeurs colorectales provenant de patients dans 11 pays différents. En cherchant des signatures de mutations spécifiques, les scientifiques ont découvert une correspondance frappante entre certaines altérations génétiques et la présence de colibactine.

Les résultats de cette étude montrent que la signature génétique de la colibactine est beaucoup plus fréquente chez les jeunes patients souffrant de cancers colorectaux. En fait, les mutations spécifiques causées par cette toxine étaient 3,3 fois plus présentes chez les moins de 40 ans que chez les plus de 70 ans, suggérant un lien direct entre la toxine et la hausse des cancers colorectaux précoces.

Une exposition dès l’enfance ?

Ce qui est encore plus alarmant, c’est que cette toxine pourrait être présente dans notre organisme dès les premières années de vie. En effet, les chercheurs suspectent que l’exposition à la colibactine ne soit pas un phénomène qui se développe à l’âge adulte, mais plutôt un processus qui pourrait débuter dès l’enfance.

La colibactine a la capacité de provoquer des mutations de l’ADN dans les cellules humaines en interférant avec leur structure génétique. Si cette toxine est présente dans l’intestin pendant une longue période — notamment durant la jeunesse — elle pourrait, au fil du temps, provoquer des mutations dans les cellules de l’intestin, augmentant ainsi le risque de cancer colorectal plus tôt dans la vie. L’une des caractéristiques inquiétantes de ce phénomène est que la personne concernée peut ne présenter aucun signe évident de lésion avant des années, rendant la détection du problème très difficile.

Cela soulève également la question de savoir si des facteurs environnementaux, comme l’alimentation, pourraient jouer un rôle dans l’activation de ces souches d’E. coli productrices de colibactine. Les modifications du régime alimentaire moderne, riches en graisses et en sucres, pourraient favoriser l’implantation et la prolifération de ces souches pathogènes, augmentant ainsi les risques.

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Vers une prévention ciblée ?

Bien que cette découverte soit encore récente, elle ouvre des perspectives intéressantes pour la prévention et la détection du cancer colorectal chez les jeunes. L’identification de la colibactine comme un facteur potentiel de risque pourrait permettre de développer de nouvelles stratégies pour prévenir l’apparition de ces cancers à un âge précoce.

Tout d’abord, la détection des souches d’E. coli productrices de colibactine pourrait devenir un nouvel outil de diagnostic précoce. En effet, un test permettant de repérer cette toxine dans les selles ou l’intestin pourrait aider à identifier les personnes à risque de manière plus précoce, avant l’apparition des premiers symptômes.

Ensuite, il serait possible d’explorer des approches pour modifier le microbiote intestinal des personnes à risque, en utilisant des probiotiques ou des traitements antimicrobiens spécifiques pour éliminer les souches pathogènes d’E. coli productrices de colibactine. Une autre piste intéressante serait l’utilisation de traitements destinés à inhiber l’action de la colibactine, de manière à limiter son impact mutagène.

Enfin, les recommandations de dépistage du cancer colorectal pourraient être révisées pour intégrer des examens plus précoces, en particulier pour les jeunes adultes présentant des facteurs de risque. Actuellement, le dépistage systématique ne commence généralement qu’à partir de 50 ans. Si la colibactine est effectivement un facteur de risque, il serait pertinent d’abaisser cette limite d’âge.

Une révolution silencieuse dans la recherche sur le cancer

Cette découverte représente un tournant dans la compréhension des causes de l’augmentation des cancers colorectaux précoces. Elle nous invite à repenser la manière dont le microbiote intestinal peut affecter notre santé à long terme, et en particulier à réfléchir à son rôle dans le déclenchement de cancers précoces.

Bien que les recherches soient encore à un stade préliminaire, la mise en évidence du rôle possible de la colibactine offre des pistes prometteuses pour les futures recherches et traitements. Cela pourrait également transformer les stratégies de prévention du cancer colorectal, en nous permettant d’identifier des risques dès l’enfance, et non à l’âge adulte.

Comme le souligne l’un des chercheurs principaux de l’étude :

« Nous savions que le cancer colorectal augmentait chez les jeunes, mais nous ne savions pas pourquoi. Maintenant, nous avons une piste. »

Il est donc possible que, dans un avenir proche, cette piste mène à des solutions concrètes, permettant de freiner cette épidémie silencieuse.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.