Elle crache de la glace dans l’espace… et pourrait bien abriter des créatures vivantes – pourquoi il faut tout miser sur cette lune

En 2005, une découverte inattendue a bouleversé notre vision du système solaire. La sonde Cassini de la NASA, en survolant Encelade, l’une des lunes de Saturne, a capturé des images spectaculaires : des geysers de glace d’eau jaillissant depuis son pôle sud. Ces panaches révélaient l’existence probable d’un océan sous la croûte glacée, un environnement que beaucoup considèrent désormais comme l’un des candidats les plus sérieux à l’habitabilité extraterrestre. Depuis, chaque nouvelle donnée alimente un peu plus un mystère vertigineux : se pourrait-il qu’une forme de vie existe déjà, à 1,4 milliard de kilomètres de la Terre ?

Les geysers d’Encelade : un laboratoire naturel dans l’espace

Encelade, sixième plus grande lune de Saturne, mesure à peine 500 kilomètres de diamètre. Pourtant, elle intrigue les planétologues depuis presque vingt ans. Dès les premiers survols de Cassini, les images de gigantesques panaches projetant des particules glacées dans l’espace ont révélé que sous la croûte gelée se cachait un océan d’eau salée maintenu liquide par la chaleur interne de la lune.

Ces panaches ne sont pas qu’un spectacle grandiose. Ils permettent de prélever directement des fragments de l’océan souterrain sans poser d’instruments sur la surface. En 2023, le télescope spatial James Webb a même mesuré un panache s’étendant sur plus de 10 000 kilomètres dans l’espace, preuve de l’ampleur de ce phénomène.

Pour les scientifiques, Encelade est devenu un monde clé. Ses geysers forment une passerelle unique entre les profondeurs et l’espace, offrant une opportunité inestimable pour traquer les ingrédients de la vie.

Des molécules organiques complexes détectées

L’analyse des grains de glace recueillis par Cassini a réservé une nouvelle surprise. Jusqu’ici, la plupart des études portaient sur des particules piégées dans l’anneau E de Saturne, qui pouvaient avoir été altérées par les radiations au fil des mois ou des années. Mais en 2008, l’instrument CDA (analyseur de poussière cosmique) de Cassini avait capturé des grains « frais », à peine expulsés des geysers. Ce sont ces données qui viennent d’être réanalysées.

Les résultats sont éloquents : des molécules organiques complexes, parmi lesquelles des esters, des alcènes cycliques, des éthers, ainsi que des composés azotés et oxygénés, ont été identifiées. Ces briques chimiques sont précisément celles qui, sur Terre, participent aux réactions conduisant à la formation d’acides aminés, de lipides et d’autres molécules essentielles à la vie.

Si ces découvertes ne prouvent pas l’existence de vie sur Encelade, elles montrent que la chimie prébiotique y est bien à l’œuvre. Comme le souligne Nozair Khawaja, auteur principal de l’étude, il existe de « nombreuses voies possibles » reliant ces molécules simples à des composés biologiquement pertinents. Encelade ne se contente donc pas d’avoir de l’eau : il possède aussi une chimie qui rend la vie envisageable.

Encelade
Crédit : ESA

L’Europe se lance dans la course vers Encelade

C’est dans ce contexte que l’ESA a annoncé récemme,t le développement d’une mission spatiale vers Encelade, prévue pour la décennie 2040. Le projet est d’ampleur : il inclura un orbiteur conçu pour traverser les panaches et analyser leurs particules avec une précision inédite. Mais surtout, il prévoit d’envoyer un atterrisseur à la surface de la lune pour observer directement son environnement.

Cette mission européenne viendra compléter les projets américains déjà à l’étude autour des lunes glacées, comme Europa Clipper de la NASA, attendu autour de Jupiter. Elle marque une étape cruciale : pour la première fois, l’humanité va se donner les moyens de tester, sur le terrain, l’hypothèse de la vie extraterrestre dans le système solaire.

En attendant ce rendez-vous, les chercheurs exploitent toujours les archives gigantesques de Cassini. Chaque nouvelle analyse dévoile un peu plus la richesse chimique de cette lune apparemment modeste. Pour les planétologues, Encelade est désormais l’un des endroits où nous avons le plus de chances de répondre à une question millénaire : sommes-nous seuls dans l’Univers ?

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.