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Tout comme nous, les éléphants s’adressent les uns aux autres par des noms

Si dans la culture populaire, les éléphants se prénomment Babar, Dumbo, Tantor ou encore Jumbo, il semblerait que dans la nature aussi, ces animaux se retrouvent affublés d’un nom qui leur est propre. Or, il s’agit d’un phénomène d’une grande rareté dans la nature. Après de premières recherches qui suggéraient déjà cette possibilité en 2023, une même équipe de chercheurs a poursuivi ses investigations et revient cette fois avec une nouvelle étude publiée le 10 juin dernier qui confirme en effet qu’entre deux barrissements, ces pachydermes peuvent utiliser des grondements dans lesquels peuvent se cacher des prénoms.

Se donner des noms, un phénomène peu banal dans la nature

Le dauphin et le perroquet dénotent des autres animaux par leur capacité à adresser un appel à leurs congénères simplement en imitant la signature vocale de leur destinataire. Du côté des tursiops, des dauphins à gros nez, chaque animal possède par exemple un sifflement propre que les autres cétacés de son espèce peuvent répéter pour s’adresser spécifiquement à lui. Toutefois, jusqu’à aujourd’hui, seul un animal pouvait assigner un nom arbitraire au destinataire de son appel : l’homme. Pour imager le tout, donnons l’exemple d’une poule. Un exemple d’appellation arbitraire, tel que tiré du langage humain, pourrait être « gallinacée » par opposition à l’appellation iconique où l’on désignerait l’animal par « cot cot », rappelant ainsi le son émis par le spécimen. Ainsi, avant cette nouvelle étude, on pensait que l’utilisation de l’appellation arbitraire était uniquement le propre de l’homme.

Toutefois, depuis ses débuts en 1975 dans l’étude des éléphants de savane (Loxodonta africana), la biologiste Joyce Poole soupçonne l’utilisation de prénoms chez les éléphants. Elle a en effet souvent remarqué que des éléphants semblaient répondre aux appels de leurs semblables. « J’ai soupçonné les éléphants d’avoir un moyen de diriger leurs appels vers un individu spécifique », explique-t-elle tout en déplorant : « je n’avais aucune idée sur la manière dont ils s’y prenaient ».

Rappelons en outre que les éléphants peuvent émettre une gamme très large de vocalisations très complexes (allant des trompettes aux barrissements en passant par des grondements, parfois à très basse fréquence et inaudibles pour l’oreille humaine). Cela rend donc l’étude et l’interprétation de leur communication on ne peut plus difficiles. Cette étude visait donc à y voir plus clair, notamment en creusant le phénomène d’appellation par un nom qui leur serait propre.

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Crédits : Larry Li/Unsplash

Une étude rapprochée des sons émis par les éléphants

Pour étudier le langage des éléphants, les chercheurs ont ici pu compter sur des enregistrements réalisés par l’association Save the elephants au sein de la réserve du Samburu et du parc national d’Amboseli au Kenya. Ils ont ainsi pu identifier 469 appels par 101 éléphants auprès de 117 destinataires en s’aidant de grondements associés aux moments de contact, de salutation ou de soin entre ces animaux (par exemple lorsqu’ils se rapprochaient les uns des autres ou qu’ils s’occupaient des éléphanteaux), estimant que ces moments en particulier étaient plus propices à l’utilisation de noms. Ils ont également pu compter sur une nouvelle technique de traitement des signaux et d’apprentissage automatique (grâce à l’intelligence artificielle) pour une meilleure identification des appels sur la base de caractéristiques acoustiques.

Or, les analyses montrent clairement que « les éléphants utilisent non seulement une vocalisation spécifique pour chaque individu, mais qu’ils reconnaissent et réagissent à un appel qui leur est destiné en ignorant ceux adressés à d’autres », explique Michael Pardo, l’un des auteurs principaux de l’étude publiée dans Nature Ecology & Evolution qui est aussi spécialiste en communication des pachydermes à l’Université de l’État du Colorado. Ces travaux soutiennent ainsi « l’idée que les éléphants peuvent inventer des noms arbitraires pour les uns les autres », ajoute-t-il.

Pour s’assurer de l’exactitude de leurs observations, les scientifiques ont mené différentes expériences sur le terrain. Ils firent notamment écouter aux pachydermes des enregistrements qui leur étaient destinés ou non. Or, les éléphants répondaient clairement et témoignaient plus d’enthousiasme lorsque les chercheurs utilisaient des appels portant leur nom. Les animaux s’approchaient alors du haut-parleur ou cherchaient derrière la source de l’émission du son. A contrario, les réponses étaient nulles lorsque les appels ne portaient pas leur nom.

Deux subtilités mises en avant par l’étude

Les observations montrent ici des subtilités épatantes. Par exemple, un individu pouvait s’adresser à un autre en utilisant un signal spécifique. Toutefois, ce signal n’était pas forcément utilisé par les autres éléphants pour s’adresser à ce même individu. Pour comparer, c’est un peu comme quand un ami désigne un proche par un surnom et qu’un autre ami en utiliserait un autre pour interpeler ce même proche. Pour autant, malgré ces surnoms différents, la personne sait avec certitude que l’on s’adresse à elle. Les éléphants semblent ainsi capables de cette même compréhension, attestant ainsi plus encore de leur incroyable intelligence.

Par ailleurs, d’après l’étude, ces appels s’utilisaient plus fréquemment à distance ou lorsqu’un éléphant adulte s’adressait à un éléphanteau. L’utilisation plus fréquente des appels par les individus plus âgés laisse ainsi suggérer l’idée que cette capacité à utiliser des noms pourrait demander des années d’apprentissage.

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Crédits : Baluda/Pixabay

Une fenêtre ouverte sur la cognition chez les éléphants

Finalement, cette étude apporte un éclairage sans précédent sur les capacités cognitives hors pair de ces animaux. Cela pose aussi des questions sur l’origine évolutive de ce talent. Comme les humains, ces pachydermes maintiennent en effet des liens très forts avec les membres de leur famille comme leur troupe. Or, ces travaux laissent entendre qu’indépendamment de nous, ils ont réussi à développer des mécanismes de communication incroyablement évolués pour s’adresser les uns aux autres. Cela suggère donc la possibilité que des éléments communs dans nos environnements sociaux puissent avoir mené au développement de cette capacité d’appel, posant ainsi des questions intrigantes sur la question de l’évolution du langage dans le monde animal.

Rappelons à ce titre qu’il y a 90 millions d’années, les ancêtres de ces pachydermes divergeaient des primates et des cétacés (d’autres animaux utilisant des formes de communication complexe), renforçant de ce fait la théorie de l’importance d’une vie sociale riche au sein d’unités familiales étendues pour développer des formes de langage plus sophistiquées.

De l’importance de ces recherches qui ne font que commencer

En tout cas, les chercheurs insistent sur le fait que ces recherches ne font que commencer. Ils n’excluent notamment pas le fait que les éléphants puissent par exemple être capables de désigner d’autres objets avec lesquels ils interagissent, à commencer par la nourriture, l’eau ou encore les lieux. Bien qu’à leurs balbutiements, ces recherches portent ainsi l’espoir que nous puissions un jour mieux comprendre le langage des éléphants et pourquoi pas réussir à communiquer directement avec eux.

Cette perspective passionnante pourrait alors aider à éviter les conflits entre les humains et les éléphants, et participer à la préservation de ces animaux épatants qui subissent nombre de défis pouvant mettre en danger leur survie. « Cette étude ouvre une fenêtre sur le fonctionnement de leur esprit », conclut George Wittemyer, l’un des auteurs de l’étude. « Nous faisons un pas vers une meilleure compréhension de ces animaux, ce qui nous aidera peut-être à mieux vivre avec eux. »

Consultez l’étude complète ici et le communiqué de presse sur cette page.

Julie Durand

Rédigé par Julie Durand

Autrefois enseignante, j'aime toujours autant partager mes connaissances et mes passions avec les autres. Je suis notamment passionnée par la nature et les technologies, mais aussi intriguée par les mystères nichés dans notre Univers. Ce sont donc des thèmes que j'ai plaisir à explorer sur Sciencepost à travers les articles que je rédige, mais aussi ceux que je corrige.