De la même manière que vous pourriez détester manger la même nourriture à chaque repas tous les jours, il a été constaté que les éléphants varient leur alimentation d’un jour à l’autre. En examinant les habitudes alimentaires d’éléphants individuels dans deux groupes au Kenya, des chercheurs ont en effet découvert qu’ils variaient leur alimentation non seulement en fonction de la disponibilité de la nourriture, mais aussi apparemment de leur humeur.
Recherche de nourriture chez les éléphants individuels
Les différences alimentaires entre les individus de mêmes espèces ont de larges implications pour le comportement, la dynamique communautaire et l’évolution de ces dernières. Chez les éléphants, les plus grands herbivores terrestres, nous savons que la compétition intraspécifique est forte, au point de structurer l’utilisation de l’espace et l’accès aux ressources.
Les éléphants profitent également de diverses ressources comme en témoigne l’étendue de leur régime alimentaire. Nous savons notamment qu’ils mangent des formes de croissance végétales divergentes, comme des herbes, des arbres et des plantes grasses. Ils consomment également des feuilles, des fruits, de l’écorce et des brindilles. Enfin, ils récupèrent aussi les déchets des dépotoirs où la quantité globale de nourriture peut fournir une meilleure nutrition que le fourrage naturel.
Il a aussi été démontré que les éléphants individuels utilisent une variété de tactiques de sélection des ressources lorsqu’ils se nourrissent dans le même environnement qui contrôlent à leur tour la diversité et l’abondance des espèces végétales dans leur aire de répartition. Une question ouverte concerne toutefois l’ampleur de la variation alimentaire au niveau individuel et le potentiel de compétition intraspécifique entre les éléphants qui se nourrissent ensemble.
Pour y voir plus clair, une équipe de l’Université Brown s’est intéressée à deux populations d’éléphants évoluant dans les habitats semi-arides des réserves nationales de Samburu et de Buffalo Springs, au Kenya. Les deux sont surveillées depuis 1997. Des observations détaillées de deux familles de taille moyenne, qui comprenaient chacune un noyau de quatre à cinq femelles adultes, ont permis de comparer les mouvements au niveau individuel et les historiques de recherche de nourriture.
Chacun ses goûts
Pour opérer, les scientifiques ont utilisé un outil de métabarcodage de l’ADN. Il s’agit d’une méthode qui permet de séquencer et d’analyser une région spécifique de l’ADN appelée « code-barre génétique » dans le but d’identifier et de caractériser des organismes. Les chercheurs ont fait appel à cet outil de pointe, car les éléphants sont non seulement difficiles à surveiller, mais leur nourriture peut être presque impossible à identifier à l’œil nu, même pour un botaniste expert. Le groupe de recherche a combiné cette nouvelle technique avec une méthode appelée analyse des isotopes stables qui implique une analyse chimique des poils d’animaux. Enfin, les scientifiques avaient conservé des échantillons fécaux collectés il y a une vingtaine d’années, mais toujours utilisables.
Toutes ces analyses ont montré que les différences alimentaires entre les individus étaient souvent beaucoup plus importantes qu’on ne le pensait auparavant, même parmi les membres de la famille qui se nourrissaient ensemble un jour donné. Les éléphants semblent en effet varier leur alimentation en fonction non seulement de ce qui est disponible, mais aussi de leurs préférences et de leurs besoins physiologiques. Une femelle pleine peut par exemple avoir des envies et des besoins différents à différents moments de sa grossesse.
Ces nouveaux résultats, publiés dans la revue Royal Society Open Science, aident à éclairer les théories sur les raisons pour lesquelles un groupe d’éléphants peut se nourrir ensemble. En effet, les spécimens individuels ne mangent pas toujours exactement les mêmes plantes. Par ailleurs, il y a visiblement suffisamment de sources disponibles pour satisfaire tous les goûts.
Ces recherches pourraient également aider les biologistes de la conservation. Une manière de mieux protéger les éléphants et d’autres espèces majeures serait en effet de créer des environnements dans lesquels ils peuvent réussir à se reproduire et à faire croître leurs populations. Ils pourraient ainsi proposer davantage de variétés de plantes à consommer.