Au dix-neuvième siècle, l’éléphant de mer du nord subit une chasse intensive pour extraire l’huile de sa graisse, ensuite utilisée dans l’industrie et l’éclairage. La situation était telle que cet animal a frôlé l’extinction avec une population réduite à moins de 25 à l’orée du vingtième siècle. Pour sauver cette espèce alors considérée comme presque éteinte d’une extinction définitive, des lois de protection et d’arrêt de la chasse sont mises en place pour permettre à ces mammifères marins imposants emblématiques de l’Océan Pacifique de se rétablir. Aujourd’hui, ces mesures ont porté leurs fruits. Les populations, toujours en augmentation, se sont reconstituées au point d’atteindre plus de 225 000 individus.
Si les nouvelles peuvent paraître plutôt bonnes, une étude internationale menée notamment conjointement par l’Université de York (Canada) et de Bielefeld (Allemagne) vient quelque peu obscurcir le tableau. D’après cette équipe, qui publie ses recherches dans Nature Ecology and Evolution, les réductions de populations massives et en peu de temps chez cet animal ont laissé des traces indélébiles dans son matériel génétique. Et d’après les chercheurs, ces cicatrices génétiques pourraient avoir un impact durable sur la santé et la diversité génétique de ce géant des mers réputé pour dormir sous l’eau de la plus étrange des manières.
Des traces dans les gènes des éléphants de mer du nord
Au cours des quelques petites années entre 1810 et 1860, les chasseurs commerciaux ont presque totalement exterminé l’éléphant de mer du nord sur la plupart de son aire géographique. Or, une diminution aussi alarmante et rapide de population n’est généralement pas sans conséquences. Pour enquêter sur le sujet, l’équipe a ici fusionné des données génétiques, des dossiers de santé, des modèles de taille de population et des simulations génétiques.
Or, selon ses conclusions, le déclin intense de la population a conduit à l’élimination à la fois de gènes utiles et nuisibles du patrimoine génétique de l’éléphant de mer du nord. Ces effets n’ont toutefois pas été observés chez leurs homologues, les éléphants de mer du sud, qui ont quant à eux évité un déclin dramatique de population.
Les effets du déclin sévère de population
Les chercheurs affirment que ce type de déclin de population peut notamment priver une espèce de sa diversité génétique, ce qui peut alors amplifier le risque de consanguinité et menacer sa survie comme sa santé, notamment à cause d’une plus forte fragilité aux épidémies ou à la pollution. « La diversité génétique fortement réduite, y compris la perte de copies de gènes bénéfiques, pourrait nuire à la capacité des éléphants de mer du nord à faire face aux changements environnementaux futurs, y compris ceux causés par le changement climatique anthropique, les modifications de l’habitat de l’espèce ou même les menaces naturelles », déplore ainsi le Dr Kanchon K. Dasmahapatra, l’auteur principal de l’étude.
Toutefois, les conclusions de ces travaux ne sont pas totalement négatives. « Nous avons examiné plusieurs traits de santé clés chez ces phoques, notamment le poids corporel, l’épaisseur du lard et la susceptibilité aux maladies. À notre grande surprise, nous n’avons trouvé aucun signe de problèmes de santé liés à la consanguinité. Nous pensons que le déclin sévère de la population a peut-être éliminé de nombreuses mutations nocives », ajoute le professeur Joseph Hoffman, le co-auteur de l’étude.
Des recherches essentielles
« Chaque espèce réagit différemment aux menaces, donc des approches individualisées sont essentielles », estime le Dr Hoffman. En effet, ce type de recherche pourrait avoir des implications considérables dans le domaine de la génétique de la conservation. L’éléphant de mer du nord constitue en effet une étude de cas cruciale sur les conséquences génétiques des goulets d’étranglement démographiques. En comprenant les effets de la réduction de la diversité génétique au sein de la biodiversité, cela permet de mieux comprendre comment d’autres espèces pourraient faire face à des menaces similaires et d’établir des stratégies qui visent non seulement à préserver la diversité génétique existante, mais aussi à favoriser la résilience de ces populations sévèrement touchées face aux défis futurs.
Cela peut notamment donner une impulsion nouvelle à la recherche scientifique et à de nouveaux cadres réglementaires qui prennent en compte ces facteurs génétiques lors de l’élaboration de politiques de conservation en veillant à ce que ces mêmes efforts pour restaurer ou protéger les espèces soient à la fois scientifiquement fondés et pragmatiquement réalisables.
L’étude est à consulter ici.