moutons cornes
Crédits : CreativeNature_nl/istock

Les plus anciennes preuves de modification de cornes de bétail découvertes en Égypte

Une équipe de chercheurs dirigée par les Dr Wim van Neer, Dr Bea De Cupere et Dr Renée Friedman a fait une découverte majeure dans le complexe funéraire de Hiérakonpolis, en Égypte. Il s’agit de la première preuve physique de la modification des cornes de moutons qui date d’environ 3700 av. J.-C. Nous savions que cette pratique existait également chez les bovins, mais elle n’était attestée pour cette période ancienne que par des représentations dans l’art rupestre. Cette découverte marque une étape importante dans l’étude des pratiques agricoles et sociales de l’Égypte prédynastique.

Hiérakonpolis : un centre d’élite de l’Égypte prédynastique

Située à environ 100 km de Louxor, Hiérakonpolis est l’un des sites archéologiques les plus révélateurs de l’Égypte prédynastique. C’est ici que les premières traces d’une organisation sociale centralisée ont été découvertes, témoignant ainsi de la transition entre les sociétés tribales et l’émergence du pouvoir pharaonique. Ce site, qui aurait été un centre politique, économique et religieux majeur, abrite des vestiges datant de la fin du quatrième millénaire av. J.-C., une période charnière dans l’histoire égyptienne.

Les fouilles ont mis au jour des tombes royales et aristocratiques exceptionnelles, ce qui offre un aperçu précieux sur les croyances et les pratiques funéraires de l’époque. Les tombes étaient souvent accompagnées d’un large éventail d’objets précieux tels que des bijoux, des armes, des poteries et des statues, ce qui indique le statut élevé des défunts et leur rôle important dans la société. Ces objets n’étaient pas seulement des biens matériels, mais aussi des symboles de pouvoir et de prestige souvent liés aux divinités et aux pratiques religieuses locales.

Les vestiges d’animaux retrouvés sur le site revêtent également une importance particulière. Les tombes contiennent des restes d’animaux sauvages et exotiques comme des crocodiles, des éléphants, des babouins, mais aussi des animaux domestiques tels que des chèvres, des moutons et des bovins. Ces animaux n’étaient pas uniquement là pour accompagner les défunts, mais symbolisaient également la maîtrise de l’élite sur la nature et le monde sauvage. L’inhumation de créatures aussi impressionnantes illustre la croyance selon laquelle le contrôle sur ces animaux reflétait un pouvoir divin ou royal.

Une découverte unique : la modification des cornes des moutons

Parmi ces découvertes, les chercheurs ont identifié des crânes de six moutons avec des cornes modifiées, une première dans l’histoire de l’archéologie. Ces moutons ont été retrouvés dans plusieurs tombes, notamment les tombes 54, 61 et 79, et ont présenté des signes de déformation volontaire des cornes.

En examinant les restes, il a été déterminé que les cornes avaient été modifiées par un processus de fracture et de repositionnement. Le crâne de l’animal était fracturé à la base du noyau de la corne, puis attaché pour maintenir cette position jusqu’à guérison. Certaines cornes ont été pointées vers l’arrière, tandis que d’autres ont été retirées.

Jusque-là, la modification des cornes était principalement observée chez les bovins, à travers des représentations artistiques qui dataient de périodes antérieures. Autrement dit, les chercheurs n’avaient que des images gravées dans l’art rupestre qui laissaient supposer que la modification des cornes était une pratique ancienne. Cependant, il n’y avait aucune preuve matérielle.

moutons cornes
Gauche : crâne T54–1 vu de (a) face et (b) côté avant gauche. Principales caractéristiques : (1) zone surélevée entre les cornes, (2) dépression avec perforation. Droite : crâne T54–2 vu de (a) face et (b) côté avant gauche, avec gros plan de la zone de l’os frontal entre les bases des noyaux de corne. Principales caractéristiques : (1) zone lisse sans suture, (2) dépression de l’os frontal, (3) rétrécissement des noyaux de corne. Crédits : Journal of Archaeological Science (2024).

Pourquoi cette pratique ?

Selon les chercheurs, cette manipulation physique pourrait être un moyen pour l’élite de Hiérakonpolis de renforcer son pouvoir social et religieux. En modifiant l’apparence des moutons, les dirigeants de la région ne se contentaient pas seulement de différencier ces animaux des autres : ils exerçaient un contrôle symbolique sur la nature elle-même. Cela reflète une croyance profonde dans la capacité de l’élite à dominer et à transformer l’environnement, un concept crucial dans l’Égypte prédynastique.

Il est également possible que ces moutons modifiés aient été associés à des divinités, en particulier au dieu bélier. Les représentations iconographiques des premiers moutons égyptiens montrent des animaux à cornes en tire-bouchon, un type de cornes qui pourrait symboliser la régénération, la fertilité ou l’ordre cosmique, des thèmes courants dans la religion égyptienne ancienne. À mesure que les croyances religieuses se sont affinées, les moutons aux cornes en croissant, comme ceux de la variété Ammon, ont commencé à apparaître, remplaçant progressivement les moutons à cornes en tire-bouchon. Ce changement pourrait également avoir des implications religieuses et symboliques, ce qui renforce l’idée que les moutons modifiés étaient des objets de vénération et de pouvoir spirituel.

Cette découverte ouvre donc la voie à de nouvelles recherches. Les archéologues continueront d’explorer le site de Hiérakonpolis pour trouver d’autres preuves de pratiques similaires non seulement sur les moutons, mais aussi potentiellement sur les bovins et les chèvres. La modification des cornes pourrait avoir été une pratique répandue dans l’Égypte ancienne, avec des significations diverses selon les époques et les contextes sociaux. En étudiant de près ces vestiges, les chercheurs espèrent mieux comprendre la complexité des pratiques religieuses et sociales de l’époque et l’importance symbolique des animaux domestiques dans les sociétés anciennes.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.