Écosse : l’étrange cas des deux momies « Frankenstein »

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Crédits : Sylvain DIDIER

Les cas de momification délibérée en Europe sont rares, mais lors de fouilles en 2001 à Cladh Hallan (une colonie écossaise de l’âge du bronze), les archéologues ont trouvé deux squelettes vieux de 3 000 ans qui semblent témoigner de cette intention. Plus intrigant encore, il s’est avéré par la suite que ces deux momies étaient en réalité composées des restes de six personnes intentionnellement fusionnés. Mais pour quelle raison ?

Deux momies Frankenstein

La tourbe est un excellent moyen de conservation. Créé naturellement par la décomposition de matières organiques (en grande partie de la mousse), cet environnement est très acide et pauvre en nutriments. De fait, les microbes n’ont pas grand-chose à y faire. Sans rien pour les décomposer, les mousses mortes s’accumulent alors, empêchant l’oxygène de pénétrer dans la tourbière, ce qui permet d’obtenir un système naturellement scellé. Un corps humain coincé à l’intérieur aura donc toutes les chances de se « momifier ».

Justement, en 2001, lors de fouilles menées sur un site de l’âge du bronze à Cladh Hallan, sur une île écossaise, des archéologues sont tombés sur ce qui ressemblait à deux squelettes (un homme et une femme) bien conservés. Au premier regard, les deux corps semblaient avoir été maintenus dans une tourbière pendant un certain temps avant d’être déplacés pour être enterrés.

Toutefois, les archéologues n’étaient pas au bout de leurs surprises. En ce qui concerne le squelette masculin, la mâchoire inférieure avait encore toutes ses dents, tandis que la mâchoire supérieure n’en avait aucune. Pourtant, les dents inférieures montraient des signes d’usure compatibles avec la présence de dents à l’opposé. Chez la femme, la mâchoire ne rentrait pas non plus dans le reste du crâne.

Un peu plus tard, des tests ADN ont finalement révélé que ces deux squelettes contenaient les restes de six personnes différentes, dont aucune ne partageait la même mère. D’après une datation isotopique, les parties du squelette féminin dataient à peu près de la même période, mais les personnes impliquées dans le squelette masculin étaient décédées à quelques siècles d’intervalle.

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L’une des momies découvertes. Crédits : Mike Parker Pearson

Dans quel but ?

Nous savons également que l’un des squelettes a été assemblé entre 1260 et 1440 avant notre ère, tandis que l’autre l’a été entre 1130 et 1310 avant notre ère. Bien qu’il y ait un chevauchement entre ces deux estimations, les archéologues pensent que ces deux squelettes ont été travaillés à des moments différents. En revanche, statistiquement parlant, le fait que cela se soit produit deux fois n’est probablement pas un hasard.

Par ailleurs, la position des deux squelettes en position fœtale suggère que les habitants de la région ont délibérément placé les corps dans ces tourbières pour les préserver. Autrement dit, ces personnes avaient connaissance de ce processus de conservation.

La question est : pourquoi des gens, il y environ 3 000 ans, ont-ils fusionné et conservé intentionnellement les restes de plusieurs individus dans ces deux squelettes ? Nous ne le saurons peut-être jamais avec certitude, mais une hypothèse est tout de même proposée.

Pour l’archéologue Mike Parker-Pearson, de l’Université de Sheffield, il se pourrait que les corps aient été utilisés comme une sorte de contrat. Concrètement, à cette époque où la propriété foncière était marquée par la construction de systèmes de terrain à grande échelle, les droits à la terre auraient probablement dépendu des revendications ancestrales. Selon le chercheur, la fusion de différentes parties du corps d’ancêtres en une seule personne aurait alors pu représenter la fusion de différentes familles et de leurs lignées de descendance, faisant ainsi office de « document juridique ».