Une des pistes techniques visant à protéger la Grande Barrière de Corail du stress thermique lié au réchauffement de l’océan consiste à rendre les nuages tropicaux plus réfléchissants. De sorte à stabiliser la température de l’eau. Fin mars dernier, les premiers essais de terrain faisant usage d’une telle technologie ont été réalisés. Et les résultats sont plutôt encourageants.
Couvrant une superficie de plus de 340 000 km² et visible depuis l’espace, la Grande Barrière de Corail est plus que jamais en danger. En effet, le réchauffement de l’océan tout comme son acidification précipitent la plus grande structure biogénique du monde vers l’effondrement. Par ailleurs, la pression liée à l’économie régionale – tourisme, pêche, etc. – n’arrange rien à l’affaire.
En 2018, le GIEC annonçait que même dans un scénario très optimiste où le réchauffement était limité à 1,5 °C, 70 % à 90 % des coraux tropicaux seraient voués à disparaître. Et cette très forte sensibilité à l’évolution climatique se vérifie déjà très distinctement. Au cours des derniers mois, la Grande Barrière de Corail a essuyé son pire épisode de blanchissement. Outre l’ampleur inédite du phénomène, c’est le troisième en seulement 5 ans.
En résumé, l’imposant récif montre des signes évidents d’altération fonctionnelle profonde. Certaines parties septentrionales ayant franchi leur point de rupture sont d’ores et déjà décimées. Ceci alors que le climat s’est seulement réchauffé de 1 °C par rapport à l’ère préindustrielle.
Un programme de protection pour la Grande Barrière de Corail
C’est dans ce contexte que le Reef Restoration and Adaptation Program a vu le jour. L’objectif étant d’« aider la Grande Barrière de Corail à résister aux impacts du changement climatique, à s’y adapter et à s’en remettre ». Jeudi dernier, le gouvernement australien a accordé 150 millions de dollars sur 5 ans à la recherche et développement dans le cadre de ce programme. Au total, ce sont 43 techniques de protection qui ont été ciblées.
L’une d’elles a d’ailleurs fait l’objet d’un essai de terrain inédit fin mars dernier. Son principe consiste à refroidir la partie supérieure de l’océan au niveau de la Grande Barrière de Corail. Comment ? En rendant plus réfléchissants les nuages de basse couche grâce à une augmentation de la quantité de particules salines dans l’air. En effet, ces dernières jouent le rôle d’embryons autour desquels se forment les gouttelettes d’eau nuageuse. De fait, majorer leur nombre rend – en théorie – les amas cotonneux plus brillants, ce qui limite la quantité d’énergie absorbée par l’océan.
Cette technique d’ensemencement a l’avantage d’être bon marché et de reposer sur un processus totalement naturel. Les chercheurs font usage de grosses turbines, lesquelles projettent des centaines de milliards d’embruns marins dans l’air chaque seconde. Lorsque l’eau s’évapore, ne restent alors que des cristaux salins nanométriques emportés en altitude par les vents.
Éclaircissement des nuages : premiers essais de terrain
Toutefois, l’expérimentation à échelle réduite menée du 25 au 28 mars au large de Townsville (Australie) visait surtout à vérifier si le prototype de turbine ainsi que le système d’expulsion fonctionnaient correctement. Et tandis qu’une brume se dégageait dans le sillage du navire, de futurs travaux devront confirmer si l’éclaircissement des nuages fonctionne bel et bien en opérationnel. Le suivi d’éventuels effets négatifs est également programmé.
Selon Daniel Harrison, directeur de projet à l’Université Southern Cross, ces résultats sont encourageants. Mais ce n’est là qu’une étape préliminaire. Aussi, dans le cas où la technique s’avère conforme aux attentes, il faudra multiplier par 10 la surface traitée – donc le nombre de navires équipés de turbines – pour atteindre l’effet de protection escompté sur le récif.
« Si cela fonctionne aussi bien que nous l’espérons, nous pourrions peut-être réduire le stress lié au blanchissement d’environ 70 % … potentiellement la quasi-totalité de la mortalité » anticipe le directeur de recherche. Cependant, il faut souligner qu’il ne s’agirait que d’un soutien temporaire, le temps que des solutions soient trouvées au problème de fond. « Si nous continuons sur des scénarios d’émissions [de gaz à effet de serre] du type laisser-aller, alors tout au plus cette technologie ne pourra octroyer que quelques décennies supplémentaires avant de voir la perte complète du récif » avertit Daniel Harrison.