Qu’est-ce qui diffĂ©rencie votre cerveau de celui de Neandertal ?

homo sapiens neandertal.
Crédits : Courtesey E. Daynes

Des chercheurs ont identifiĂ© une mutation dans notre ADN qui a peut-ĂŞtre aidĂ© Ă  distinguer l’esprit de nos ancĂŞtres de celui de Neandertal et d’autres parents disparus. Cette mutation, qui s’est produite au cours des dernières centaines de milliers d’annĂ©es, semble en effet stimuler la production de neurones dans la partie du cerveau que nous utilisons pour nos formes de pensĂ©e les plus complexes. Les dĂ©tails de l’Ă©tude sont publiĂ©s dans la revue Science.

L’idée que Neandertal était beaucoup plus primitif que les humains modernes est aujourd’hui dépassée. Il y a trois ans, les analyses de plusieurs dizaines squelettes avaient en effet suggéré que ce dernier soignait aussi ses malades et venait en aide aux femmes enceintes.

Nous savons également que les Néandertaliens, souvent dépeints comme des êtres sanguinaires, n’étaient finalement pas plus violents que l’Homme moderne. Plus récemment, nous avons aussi appris que leurs nouveau-nés avaient un poids comparable à celui des nôtres, indiquant une histoire gestationnelle probablement semblable.

Enfin, une Ă©tude publiĂ©e l’annĂ©e dernière dans Nature Ecology & Evolution nous rĂ©vĂ©lait Ă©galement que les NĂ©andertaliens avaient dĂ©veloppĂ© la capacitĂ© de percevoir et de produire des sons de la parole humaine.

Notre ancien cousin n’Ă©tait donc pas stupide et semble avoir exploitĂ© tout son potentiel. Cependant, il n’en restait pas moins limitĂ© dans une certaine mesure comparĂ© Ă  Homo Sapiens. Une Ă©tude vient en effet de livrer plusieurs diffĂ©rences frappantes dans le dĂ©veloppement du cerveau entre nos deux espèces.

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Crédits : Nikola Solic

Des dizaines de mutations spĂ©cifiques Ă  l’Homme moderne

La caractĂ©ristique la plus Ă©vidente du cerveau humain est sa taille quatre fois plus grande que celle de nos plus proches parents vivants, les chimpanzĂ©s. Le lobe frontal humain, essentiel pour certaines de nos pensĂ©es les plus complexes, produit Ă©galement beaucoup plus de neurones que dans le leur. Cependant, comparer les humains avec les chimpanzĂ©s nous heurte Ă  certaines limites. Et pour cause, notre ancĂŞtre commun le plus rĂ©cent aurait vĂ©cu il y a environ sept millions d’annĂ©es.

Pour combler ce fossĂ©, des chercheurs ont dĂ» se tourner vers nos ancĂŞtres les plus rĂ©cents. En inspectant les crânes de plusieurs espèces d’hominidĂ©s, les palĂ©oanthropologues ont dĂ©couvert que la taille du cerveau de ces derniers avait considĂ©rablement augmentĂ© Ă  partir d’il y a environ deux millions d’annĂ©es, avant d’atteindre leur taille actuelle il y a environ 600 000 ans. Ă€ cette Ă©poque, les NĂ©andertaliens avaient des cerveaux aussi gros que les nĂ´tres. Cependant, la taille ne fait pas tout.

Les cerveaux de Neandertal Ă©taient en effet plus allongĂ©s que les nĂ´tres, probablement parce que certaines rĂ©gions cĂ©rĂ©brales ont Ă©voluĂ© diffĂ©remment. Pour en apprendre davantage, les chercheurs ont tentĂ© d’exploiter les quelques restes d’ADN miraculeusement conservĂ©s Ă  l’intĂ©rieur de fossiles de nos anciens cousins. Grâce Ă  ces prĂ©cieuses donnĂ©es, ils ont pu reconstruire des gĂ©nomes entiers de NĂ©andertaliens ainsi que de leurs cousins ​​orientaux, les DĂ©nisoviens.

Munis de ces informations, les scientifiques ont examinĂ© les diffĂ©rences potentiellement cruciales entre notre gĂ©nome et celui de ces deux espèces Ă©teintes. L’ADN humain contient environ 19 000 gènes. Les protĂ©ines codĂ©es par ces gènes sont pour la plupart identiques Ă  celles de nos cousins. Cependant, les chercheurs ont pu identifier 96 mutations spĂ©cifiques Ă  l’Homme moderne. Et d’après cette Ă©tude, l’une d’entre elles semble modifier un gène appelĂ© TKTL1. Or, nous savons que TKTL1 est très actif dans le cortex cĂ©rĂ©bral humain en dĂ©veloppement, en particulier dans le lobe frontal qui joue un rĂ´le clĂ© dans les fonctions cognitives.

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Famille de Neandertal. Crédits : Field Museum.

Trois expériences confirment le rôle clé de TKTL1

Dans le cadre d’expĂ©riences, les chercheurs ont dans un premier temps injectĂ© la version humaine de ce gène dans le cerveau en dĂ©veloppement de souris et de furets. Ils ont alors dĂ©couvert que cela incitait les cerveaux de ces deux animaux Ă  produire plus de neurones.

Les chercheurs ont ensuite mené des expériences sur des cellules humaines en utilisant des fragments de tissu cérébral fœtal obtenus grâce au consentement de femmes ayant avorté. Après avoir utilisé des ciseaux moléculaires pour extraire le gène TKTL1 des cellules des échantillons de tissus, ils ont découvert que le tissu cérébral humain produisait moins de cellules dites progénitrices (qui produisent des neurones).

Enfin, dans le cadre d’une troisième sĂ©rie d’expĂ©riences, l’Ă©quipe a dĂ©veloppĂ© des cerveaux miniatures de Neandertal. Pour ce faire, ils ont utilisĂ© une cellule souche embryonnaire humaine, modifiant son gène TKTL1 afin qu’il ne porte plus la mutation humaine et intĂ©grant d’autres mutations trouvĂ©es chez nos parents, y compris les NĂ©andertaliens.

Ils ont ensuite placĂ© la cellule souche dans un « bain de produits chimiques » qui a permis in fine de produire un amas de tissu cĂ©rĂ©bral en dĂ©veloppement (organoĂŻde cĂ©rĂ©bral). Cet organoĂŻde a gĂ©nĂ©rĂ© des cellules cĂ©rĂ©brales progĂ©nitrices qui ont ensuite produit un cortex miniature composĂ© de couches de neurones. RĂ©sultat : l’organoĂŻde de type Neandertal a produit moins de neurones que ceux avec la version humaine de TKTL1.

D’autres diffĂ©rences clĂ©s

En fin de compte, ces trois sĂ©ries d’expĂ©riences semblent prouver qu’un simple ajout de gĂŞne aurait eu un effet dramatique sur la production de neurones chez les humains modernes.

Naturellement, cette dĂ©couverte ne signifie pas que TKTL1 fait de nous ce que nous sommes profondĂ©ment Ă  lui tout seul. D’autres chercheurs examinent actuellement les dizaines d’autres mutations connues susceptibles d’avoir jouĂ© un rĂ´le dans les trajectoires d’Ă©volution de l’Homme moderne et de Neandertal.

En juillet dernier, une Ă©quipe rapportait d’ailleurs que deux autres mutations connues modifiaient le rythme de division des cellules cĂ©rĂ©brales en dĂ©veloppement. L’annĂ©e dernière, une Ă©quipe de l’UniversitĂ© de Californie avait Ă©galement dĂ©couvert qu’une autre mutation semblait modifier le nombre de connexions que les neurones humains Ă©tablissent entre eux.