Pour la première fois, des chercheurs ont utilisé l’outil d’édition de gènes Crispr-Cas9 dans le but de perturber la capacité des moustiques Aedes aegypti à reconnaître les cibles sombres que les insectes explorent pour déterminer s’ils sont des hôtes.
Perturber le champ visuel des moustiques
Nous savons que les moustiques sont attirés par les couleurs sombres depuis la fin des années 30. Jusqu’à présent en revanche, le mécanisme moléculaire par lequel ces insectes percevaient visuellement leurs cibles était en grande partie inconnu. Une nouvelle étude, menée par une équipe de l’Université de Californie (Santa Barbara) est la première à déchiffrer les aspects de la façon dont ces moustiques utilisent la vision pour trouver des cibles à piquer.
Or, « Mieux nous comprenons comment ils perçoivent l’humain, mieux nous pouvons contrôler le moustique de manière écologique« , a déclaré Yinpeng Zhan, principal auteur de l’étude publiée dans la revue Current Biology.
Ces moustiques chassent durant la journée, principalement à l’aube et au crépuscule. Les insectes s’appuient sur plusieurs sens pour localiser une source de sang potentielle. Un simple nuage de dioxyde de carbone suffit normalement à les attirer. « Ils peuvent également détecter certains des signaux organiques de notre peau tels que la chaleur et l’humidité« , souligne Craig Montell, coauteur de l’étude. « Mais s’il n’y a pas d’hôte approprié, le moustique volera directement vers la cible qui semble la plus proche représentée dans son champ visuel par une tache sombre« .
Cibler les bonnes protéines
Pour ces travaux, Zhan et son équipe se sont concentrés sur les moustiques de l’espèce Aedes aegypti, aussi appelés moustiques tigres. Ces derniers sont les vecteurs principaux de la dengue, du virus Zika, du chikungunya ou encore de la fièvre jaune. Les femelles, à la recherche du sang dont elles ont besoin pour pondre leurs oeufs, infectent chaque année des dizaines de millions de personnes.
Les chercheurs soupçonnaient que l’une des cinq protéines photosensibles exprimées dans les yeux de ces moustiques pouvait être la clé pour éliminer sa capacité à rechercher visuellement des hôtes humains en détectant les couleurs sombres. Ils ont donc commencé à utiliser l’outil d’édition de gènes CRISPR /Cas9 pour éliminer la protéine de vision la plus abondante dans les cellules photoréceptrices des insectes : la protéine rhodopsine Op1.
Les chercheurs ont ensuite collecté une dizaine de femelles devenues adultes pour les libérer dans une cage proposant un cercle noir et un cercle blanc à l’intérieur. Résultat : les femelles se sont comportées de la même manière que d’habitude dans tous les essais expérimentaux. Autrement dit, elles se sont toutes dirigées vers le cercle noir.
L’équipe s’est ensuite focalisée sur la protéine Op2, la rhodopsine la plus liée à Op1. Encore une fois, les « insectes mutants » se sont comportés normalement. Ce n’est que lorsque les chercheurs ont éliminé les deux opsines que les insectes ont montré des anomalies de comportement, n’affichant aucune préférence entre les cercles même après une exposition au CO2. En éliminant deux des récepteurs de détection de lumière de ce moustique, les chercheurs ont ainsi éliminé sa capacité à cibler visuellement les hôtes.
Ces moustiques étaient-ils devenus complètement aveugles ?
Pour le savoir, les chercheurs ont mis en place plusieurs tests. Tous les groupes génétiques ont affiché une phototaxie positive, se déplaçant vers la lumière après avoir été exposés au CO2. Les insectes manipulés pouvaient également distinguer les ombres et les mouvements. Leur morphologie oculaire était saine. Aussi, l’absence de reconnaissance de la cible n’était pas due à une dégénérescence rétinienne. Enfin, les insectes affichaient la même activité une fois exposés à la lumière. Autrement dit, ils n’étaient pas aveugles, mais simplement incapables de distinguer les couleurs sombres.
Les chercheurs n’ont pas encore exposé les moustiques manipulés à des hôtes. Des travaux futurs pourront ainsi permettre de comprendre si cette déficience visuelle affecte ou non la capacité des moustiques à se nourrir de sang. Toutefois, ces conclusions pourraient avoir de vastes implications.
« La vision joue un rôle important dans la détection d’un hôte potentiel pour les insectes hématophages tels que les moustiques. Tous servent de vecteurs de maladies humaines. Et cette étude est la première à découvrir les mécanismes moléculaires derrière ce comportement« , souligne Craig Montell.
Ces travaux pourraient un jour éclairer les futures stratégies de contrôle des populations de moustiques. Si les femelles étaient incapables de voir leurs hôtes, elles auraient plus de mal à trouver le sang nécessaire au développement de leurs œufs. En conséquence, leurs populations pourraient alors décliner.